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Lundi 29 mai 2017

Expédition 2016-2017

Newsletter #27

39°40' Nord - 03°86' Est

Vivez vos rêves, bâtissez l’Avenir !

Hello Kids, il est venu le temps* de vous écrire la dernière Kids Newsletter de cette Expédition OceanoScientific 2016 - 2017. En effet, vendredi 2 juin vers 10h00, j’accosterai au ponton d’honneur du Yacht Club de Monaco. Son Altesse Sérénissime le Prince Albert II de Monaco me tendra les amarres que je lui avais confiées le 17 novembre en appareillant. L’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" et moi-même seront arrivés au terme de cette belle aventure qui nous a conduit dans le Grand Sud, au pays des albatros. Sur le quai, se presseront sûrement tous nos jeunes supporters de l’École primaire de la Condamine, déjà en nombre au départ. Ce sera un moment de forte émotion. A tous les Kids des écoles de la Condamine (Monaco), Saint-Louis (Cabourg) et Jean Charcot (Ouistreham), je vous confirme ma venue dans vos classes avant la fin juin. J’aurai le plaisir de vous dédicacer à chacun un joli poster que les Papeteries de Clairefontaine, notre fidèle partenaire, ont imprimé alors que j’étais encore bien loin du but. Au fil de ma navigation, au gré de ces Kids Newsletters, j’espère vous avoir transmis une bonne part de l’émotion que j’ai moi-même ressentie durant cette navigation en solitaire. Pourvu également que vous ayez pris conscience de l’impérative nécessité de préserver l’Océan. Je souhaite aussi vous avoir donné envie, d’une part d’accomplir vos propres rêves et, d’autre part, de courir le monde à la découverte de ce que la Planète offre de plus merveilleux, que ce soit sur terre ou en mer. Vivez vos rêves, bâtissez-vous un bel avenir dans le respect de la Nature. A vous de jouer !

Ce bel arc-en-ciel dans le sillage de Boogaloo marquait la fin du tout dernier grain d’Atlantique Nord, alors que l’étrave visait déjà le Détroit de Gibraltar. Comme si le grand océan nous faisait un clin d’œil complice après tant de jours passés en sa compagnie. L’émotion du large se cache derrière chaque nuage.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Une fois n’est pas coutume, je vous écris* cette newsletter sur le sol ferme de la petite ville de Cartagena (Espagne) où je patiente avant de reprendre la mer samedi 27 mai, afin d’être ponctuel au rendez-vous avec le Prince Souverain. Quelques heures après avoir quitté ce port accueillant où j’aime relâcher, je couperai le Méridien de Greenwich dans le sens Ouest > Est, repassant d’une longitude Ouest à une longitude Est, selon la méthode que je vous ai exposée dans la Kids Newsletter n° 17, lorsque j’ai franchi l’antiméridien dans le Grand Sud. Plus encore que lorsque que j’ai recoupé le sillage de Boogaloo le long des côtes marocaines il y a une dizaine de jours, ce passage du Méridien de Greenwich marquera concrètement la fin du tour du monde, le retour au point de départ.

 

J’ai environ 700 milles nautiques à parcourir (570 en route directe), soit à peu près 1 200 kilomètres, avant d’entrer dans le port de Monaco. Les brises promettent d’être variables en force et en direction et je vais probablement devoir terminer le parcours à l’aide du moteur, car un grand calme devrait baigner la côte méditerranéenne française en fin de semaine, comme très souvent à cette époque de l’année. Boogaloo est vraiment véloce dans les tous petits airs et j’exploiterai le moindre souffle d’Éole pour me rapprocher au maximum de l’objectif à la voile, afin de bruler le moins de CO2 (gaz carbonique) possible, de naviguer proprement le plus loin que les conditions atmosphériques nous le permettront.

 

D’ores-et-déjà, je ressens une immense fierté personnelle d’avoir réalisé le rêve de l’adolescent que j’étais en 1972, lorsque j’ai lu et maintes fois relu "La Longue Route" de Bernard Moitessier, à quinze ans ; lorsque j’ai pris l’engagement vis-à-vis de moi-même de faire, moi aussi, un tour du monde à la voile en solitaire, de doubler le Cap Horn en solo. Quarante cinq ans plus tard, ce rêve devient réalité. Vous ne pouvez pas imaginez comme je suis heureux. Ou plutôt si, vous pourrez l’imaginer lorsqu’à votre tour vous atteindrez un but suprême que vous vous serez fixé dans l’intimité de vos pensées, sans tenir compte des remarques des uns et des autres sur votre capacité à faire ou à ne pas faire, à réussir ou à échouer. Laissez dire et avancez.

 

Sachez qu’autour de vous, même parmi ceux qui ont le plus d’affection, d’amour pour vous, il y aura toujours des personnes que les rêves effraient, qui craindront pour vous parce qu’elles craignent pour elles-mêmes. Surtout ne tenez pas compte des angoisses d’autrui. Avancez sur le chemin que chaque jour vous tracez de votre volonté d’accomplir votre rêve. Ce n’est qu’en demeurant fidèle à son rêve qu’un jour on atteint ce fantastique plaisir qui consiste à se dire à soi-même d’abord et aux autres, à tous les autres, ensuite : "Je l’ai fait !". Peu importe que ça vous prenne 45 ans, comme moi ou toute une vie. Le principal est de ne jamais laisser s’éteindre la flamme de cette envie plus forte que tout qui vous mènera peu à peu à bâtir votre propre avenir comme vous l’entendez.

 

Je vous le dis : ce n’est pas simple. C’est un combat. Avec des moments d’euphorie lorsqu’on se rapproche du but, certes, mais aussi de terribles moments d’abattement, des périodes durant lesquelles on croit tout perdu, terminé. Et puis, si la petite flamme, même devenue minuscule, brule toujours au fond de vous, au plus profond de votre cœur, rien ne sera perdu, la conquête de votre rêve pourra se poursuivre et vous sortirez de cette séquence de doute encore plus fort. Rêver est une conquête permanente.

 

J’aimerais tant que mes récits, mes réponses à vos questions, génèrent en vous cette envie folle d’avoir envie d’atteindre l’inaccessible ! Car nous autres êtres humains ne sommes riches que de nous-mêmes …et de nos rêves. C’est-à-dire du sens que nous donnons à notre vie. Il n’y a pas de règle. Ni pour être heureux, ni pour réussir sa vie. Mais il y en a des millions pour passer sur cette terre dans l’anonymat d’un ennui qu’on porte et supporte au fil des ans, en accusant tout et son contraire d’être responsable de son mal être. Or, il n’y a d’autre responsable que soi-même.

 

Avant de conclure cette vingt-septième Kids Newsletters, j’ai deux dernières informations à vous transmettre. Elles ont guidé toute ma vie jusqu’à aujourd’hui et je continuerai à en suivre les préceptes jusqu’à mon dernier jour. La première est que la malchance n’existe pas. C’est important de le savoir. La seconde est que la chance non plus. Dommage, n’est-ce pas ? Non, mille fois non !

 

La Vie, votre vie, est ce que vous en ferez à force de volonté. N’attendez pas le salut de l’extérieur. Croyez en vous et tout sera possible, toutes les portes s’ouvriront, même celles qui vous paraissent les plus verrouillées, hermétiques à vos désirs. Vous avez le meilleur avenir qui soit à bâtir, à condition que vous demeuriez humble face à la Nature, respectueux de votre environnement.

 

Et, s’il vous plaît, pensez toujours de temps en temps à l’Océan, il a besoin de votre sollicitude, de votre bienveillance. Préservez l’Océan, je vous en prie. Cela commence sur la terre ferme.

 

Avec Boogaloo je vous ai ouvert la voie, je vous offre mon sillage, emparez-vous en, voguez vers vos propres rêves, gagnez l’Avenir. Salut les Kids, merci à vous tous et bon vent !

 

"Tout ce que les hommes ont fait de beau et de bien, ils l’ont construit avec leurs rêves…"

 

                                                                                                        Bernard Moitessier

                                                                                                         "La Longue Route"

 

* J’ai écrit cette newsletter vendredi 26 mai. Elle a été préparée les jours suivants, puis publiée sur le site de l’association (www.oceanoscientific.org) et transmise aux abonnés lundi 29 mai au matin.

Cap Akritas, ce porte-conteneurs sous pavillon de Hong-Kong de 259 mètres et 40 000 tonnes de déplacement, construit en 1987, est un géant de l’ancienne génération. La nouvelle embarque plus de 20 000 "boîtes", comme les dénomment les professionnels du transport maritime, sur une coque de 400 mètres. Observez l’amoncellement de conteneurs. On comprend ainsi pourquoi en cas de fort mauvais temps certains s’échappent et tombent à la mer, créant des épaves excessivement dangereuses pour un voilier comme Boogaloo. C’est un risque majeur en constante augmentation sur l’Océan. Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Durant toute l’Expédition OceanoScientific, Yvan Griboval a été en liaison avec des classes de CE2-CM1-CM2 de Monaco, Cabourg et Ouistreham. Il répondait aux questions que ses jeunes supporters préparaient avec leurs maîtresses et maîtres, comme ici en classe de CM1 de l’Ecole Saint-Louis à Cabourg où sont scolarisés ses enfants : Quentin, Malo et Léa. Photo Manuel Guyon - Ouest France

Mardi 23 mai 2017

Expédition 2016-2017

Newsletter #26

37°33' Nord - 00°57' Ouest

Gibraltar pour la seconde fois

Hello Kids, comme je l’avais exprimé en mettant cap au Sud (Kids Newsletter n° 2) il y a six mois déjà, franchir l’étroit Détroit de Gibraltar entre l’Espagne et le rocher de Gibraltar au Nord et le Maroc au Sud, est une phase redoutée de notre périple. Les conditions de navigation peuvent-y être redoutables avec de forts vents de face, quelle que soit la saison. Surtout, le trafic maritime y est intense dans le sens entrée/sortie de Méditerranée, c’est-à-dire Ouest - Est et inversement, comme dans l’axe perpendiculaire qui relie les deux côtes. Nous y sommes passés de nuit avec un vent d’Ouest faible à modéré et un courant favorable qui nous en ont facilité la traversée. C’est une étape majeure qui marque vraiment la fin de notre périple. Or, comme notre remontée de l’Atlantique a été particulièrement rapide, nous avons à nouveau fait escale à Cartagena (Espagne), afin de ne pas arriver avec cinq à sept jours d’avance sur le rendez-vous du vendredi 2 juin à 10h00 au Yacht Club de Monaco où Son Altesse Sérénissime le Prince Souverain Albert II nous attendra sur le ponton pour nous remettre les amarres. L’expédition s’y achèvera après en être partie le 17 novembre 2016.

Nous sommes passés dans le Détroit de Gibraltar de nuit, sans lune, par conséquent dans des conditions qui ne permettaient pas de faire des photos. En 2015 nous étions au contraire passés en milieu de journée par grand beau temps, comme l’illustre cette image. On y croise toutes sortes de grands navires, que ce soit de transport de marchandises comme de passagers. C’est vraiment une "autoroute" maritime.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Le Détroit de Gibraltar est une des trois zones maritimes au monde les plus fréquentées avec le Pas-de-Calais, entre France et Angleterre et le Détroit de Malacca, entre Malaisie / Singapour et l’Ile de Sumatra (Asie). Le chiffre de 100 000 navires de fort tonnage par an : cargos, dont les porte-conteneurs géants qui apportent la plupart des marchandises produites en Asie et vendues en Europe, mais aussi pétroliers et paquebots, serait une estimation désormais dépassée. L’observation attentive de ce gigantesque trafic maritime est d’ailleurs une façon très précise de mesurer l’importance des échanges entre Asie et Europe, sachant que les navires qui franchissent Gibraltar, transitent également pour la plupart par le Canal de Suez, à l’autre extrémité de la Méditerranée, la porte de l’Orient.

 

Gibraltar est un minuscule territoire d’à peine sept kilomètres carrés, reconnaissable à son rocher de 430 mètres d’altitude visible de très loin par bonne visibilité. Environ 30 000 personnes vivent dans cette enclave britannique sur le sol européen, cernée par l’Espagne au deux tiers et par la mer pour le reste. On y dénombre également environ 200 singes, seigneurs du fameux rocher.

 

Au gré d’invasions successives, Gibraltar a longtemps été un territoire Maure, avant que les Espagnols ne se le réapproprient en 1492. Puis en 1713 les Anglais s’en emparent à la faveur d’un traité qui met un terme à une longue guerre sur le territoire espagnol. Ce petit bout de terre de rien du tout, baigné par une grande baie où peuvent s’abriter un très grand nombre de navires, de commerce comme de guerre, devient un avantage stratégique extraordinaire au profit des Britanniques pour contrôler tout le commerce entre les pays méditerranéens et l’Europe du Nord.

 

Juste à bâbord (gauche) avant de quitter l’Atlantique pour pénétrer en Méditerranée par le fameux détroit, il y a le Cap de Trafalgar de sinistre mémoire. La flotte française de Napoléon y subit sa plus cinglante défaite face aux navires du Royaume d’Angleterre emmenés par le redoutable vice-Amiral Nelson (21 octobre 1805), qui y perdit la vie. Moins nombreux, plus efficaces, avec des voiliers plus performants et manœuvrant plus rapidement, les marins anglais ont anéanti en une seule bataille deux tiers de l’imposante flotte de la coalition franco-espagnole, mettant en évidence que les Anglais furent bien le pire ennemi de Napoléon. Jamais il ne réussit à imposer la domination maritime de la France, synonyme de contrôle des principaux échanges commerciaux mondiaux à cette époque. Quant à envahir l’Angleterre, son souhait le plus cher, il ne le réalisa jamais non plus. Que d’échecs au nom de la France !

 

En 1830, Gibraltar devient une colonie britannique à part entière. Ce territoire est toujours aujourd’hui sous l’autorité de la Reine d’Angleterre. Notons que l’actuel Maire de Gibraltar est une personnalité emblématique du rocher au-delà de sa fonction administrative. Il s’agit de la jeune (30 ans) Kaiane Lopez, ex-Miss Gibraltar, mais surtout ex-Miss Monde 2009. Du charme, elle en est pourvue c’est une évidence, mais il lui faut aussi de l’autorité, car depuis plus de cinq siècles les Espagnols souhaitent récupérer ce territoire stratégique et aujourd’hui plus qu’hier. En effet, jusqu’ici, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’Angleterre faisait encore partie de la Communauté Européenne (CEE), les rapports n’étaient que mauvais entre Gibraltar et l’Espagne. Désormais que l’Angleterre a voté le "Brexit", marquant la volonté de son peuple de ne plus adhérer à la CEE, les rapports sont devenus réellement exécrables, bien que la population de Gibraltar ait voté à 92% - un record ! - en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Europe.

 

En ce qui nous concerne, Brexit or not, l’objectif était de pénétrer en Méditerranée sans encombre. Une fois encore notre bonne étoile veillait à ce que Boogaloo bénéficie de la bienveillance de Neptune, Dieu de la Mer et de Eole, Dieu du Vent. Il en a d’ailleurs été ainsi depuis le départ de Rio de Janeiro (Kids Newsletter n° 23), malgré l’immense zone de l’anticyclone des Açores censé nous boucher le passage des ses calmes et de ses brises contraires. Mais Boogaloo, guidé par les conseils avisés de notre routeur Christian Dumard, s’est frayé un chemin idéal. Nous n’avons mis ainsi que 28 jours tout juste pour relier le Brésil à Cartagena, où nous avons relâché samedi 20 mai. Vingt-huit jours pour couvrir 5 810 milles nautiques (11 000 km), soit précisément 207,5 milles nautiques parcourus par jour, à 8,65 nœuds de moyenne pour une remontée vraiment express. Qu’il est rapide ce Boogaloo, mon P’tit Bonhomme, dont je vais devoir bientôt me séparer au terme de plus de 150 jours d’un merveilleux de tête-à-tête.

Que ce soit juste avant d’embouquer le Détroit de Gibraltar, dedans ou une fois en Méditerranée, les dauphins accompagnent Boogaloo avec entrain. De toute l’Expédition OceanoScientific 2016 - 2017, c’est la zone maritime où nous en avons observé le plus grand nombre. Cette image, qui date du même jour que celle ci-dessus, est la meilleure que j’ai réalisée de ces joyeux compagnons de route.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lorsqu’on se rapproche du Détroit de Gibraltar par le Sud en longeant les côtes marocaines, on se trouve confronté à une multitude de minuscules bateaux de pêche qui sont mal équipés pour être repérés. De jour comme de nuit, ce sont des obstacles auxquels il faut veiller sans relâche. En passant à proximité des équipages affairés à leur tâche, les échanges sont cordiaux, comme ici où ils nous félicitent pour le tour du monde et nous souhaitent bonne route vers Monaco. Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lundi 15 mai 2017

Expédition 2016-2017

Newsletter #25

33°60' Nord - 17°10' Ouest

En passant non loin des Açores…

Hello Kids, dans les brises légères de l’anticyclone des Açores où nous évoluons actuellement*, nous entamons notre dernière semaine en Atlantique avant de franchir le Détroit de Gibraltar, probablement le week-end du 19-21 mai. C’est déjà un peu la fin de notre expédition démarrée le 17 novembre de Monaco, dans une douce atmosphère printanière. Finies les terribles chaleurs équatoriales et tropicales. Les furieux coups de vent de début décembre en Méditerranée et le long des côtes marocaines, puis les impressionnantes dépressions du Grand Sud ne sont plus que souvenirs. Désormais tout est apaisé. Je navigue sur un océan de sérénité. Il devrait en être ainsi jusqu’au vendredi 2 juin, date d’arrivée programmée au Yacht Club de Monaco. Sauf à ce que la Méditerranée, toujours versatile, ne nous réserve une des farces dont elle est coutumière : un gros coup de vent d’Est ou un puissant Mistral orienté face à l’étrave de l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo". Pour l’instant, rien à l’horizon ne nous le fait craindre. Profitons-en pour évoquer l’archipel des Açores, non loin duquel je navigue. Un minuscule chapelet d’îles à l’échelle de l’immense Atlantique Nord. Mais elles occupent une place importante dans le cœur des marins. Explications.

La remontée de l’Atlantique Nord à destination de Gibraltar est un long jeu de patience dans des vents souvent instables et faibles. Pour progresser régulièrement et à bonne vitesse, il faut être vigilant et passer beaucoup de temps à régler la voilure pour l’adapter aux humeurs changeantes de la brise.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Situons les Açores. Elles sont au nord-ouest de l’île de Madère, la terre la plus proche. Les Canaries (Espagne) se situent un peu plus loin que Madère, à leur sud-ouest. Mais il faut surtout situer ce chapelet d’îles portugaises - c’est une région autonome du Portugal depuis 1976, donc un territoire de la Communauté Européenne - par rapport à Lisbonne, capitale du Portugal et par rapport à Terre-Neuve, vous comprendrez pourquoi plus loin dans ce texte. Comptons environ 1 500 kilomètres pour relier Lisbonne aux Açores et mille de plus pour atteindre Terre-Neuve dans leur Nord - Nord-Ouest.

Cet archipel volcanique est composé de trois groupes d’îles. Le groupe oriental, à l’Est, est composé de São Miguel, la plus grande (750 km2) et Santa-Maria. Le groupe central comprend Faial, avec le célèbre port de Horta, Terceira, Graciosa, São Jorge et Pico, dont le sommet, souvent enneigé, culmine à 2 350 mètres. Enfin, à l’Ouest, le groupe occidental est composé de la huitième île : Flores et de la neuvième et plus petite : Corvo (17 km2), les plus sauvages. Au total, la superficie des Açores est inférieure à 2 500 km2, soit un minuscule point perdu sur la carte de l’Atlantique Nord.

Cet archipel est dans ce qu’on dénomme la zone subtropicale, c’est-à-dire, pour faire simple, entre nous et les tropiques, plus influencé par les tropiques. Le climat y est agréable. Il y fait doux toute l’année. Jamais trop froid, jamais trop chaud. Idéal. Néanmoins, cet archipel qui a donné son nom à l’immense anticyclone de l’Hémisphère Nord atlantique, est réputé pour ses précipitations. Car il est aussi dans la partie sud de la trajectoire des trains de dépressions qui courent des côtes américaines aux rivages européens de novembre à avril. Les violentes brises qui balayent ces volcans au repos sont porteuses de puissantes pluies.

Ces îles étaient réputées il y a plusieurs siècles pour la luxuriance de leurs forêts. Or, la nécessité d’y élever des bovins et ovins ainsi que l’obligation de cultiver des céréales pour nourrir ses habitants a fait disparaître les forêts, dont les arbres servirent aussi à la construction navale. Grâce au cocktail parfait entre températures douces et fortes précipitations, la flore y est particulièrement développée, avec une multitude de fleurs sauvages et fleurs de culture qui sont un des nombreux attraits de ces îles séduisantes.

Les Portugais furent, semble-t-il les premiers à mettre pied à terre aux Açores. Les historiens attribuent en effet à un dénommé Diogo de Silves la découverte de l’archipel en 1427 (XVe Siècle). Toutefois, il se pourrait qu’au IIIe Siècle d’autres hommes aient atteint ces îles avant eux. Le mystère demeure. Il faudra en réalité plus de vingt ans et bien des équipages, toujours portugais, pour inventorier les neuf îles et en découvrir l’intérêt et les richesses.

Les Portugais comprirent vite le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de cette découverte, alors que ces territoires volcaniques ne recélaient aucune richesse particulière dans leur sol, si ce ne sont alors à sa surface de grands arbres fort prisés pour la construction navale. Dans leur compétition pour conquérir le Monde et pour trouver de nouvelles voies pour aller s’approvisionner en produits précieux aux Indes en particulier et en Asie en général, la concurrence avec les Espagnols, d’abord, puis les Hollandais, les Anglais et les Français, ensuite, était âpre. Disposer de cette escale à environ 800 milles nautiques de leurs bases continentales, permettait aux équipages portugais de disposer d’un avantage primordial. Ce qui les aida à découvrir le Brésil, par exemple (Kids Newsletter n°23).

En effet, le départ des côtes européennes se faisait souvent dans des conditions musclées, avec un fort vent et une mer difficile, alors que les équipages, souvent constitués de rebuts de la société tout juste sortis ivres des tavernes du port, avaient du mal à s’amariner. Il en résultait nombre d’avaries dès le début de ces interminables voyages. Disposer ainsi de ports où faire escale, réparer la casse, voire changer un mât, recoudre les voiles, refaire une partie de coque endommagée, ou tout simplement compléter un avitaillement, représentait un atout inestimable dans cette compétition maritime de grande envergure.

Plus tard, ce fut aussi un point de passage obligé pour tous les grands voiliers portugais de pêche à la morue, la principale ressource naturelle d’Atlantique Nord pendant près d’un siècle, du milieu du XIXe jusqu’au début du XXe. Tant que la marine à voile n’était pas détrônée par la vapeur, les Açores étaient un atout de choix. Les vents dominants, vents contraires à la progression pour relier les bancs de Terre-Neuve, obligeaient les grands voiliers à d’abord plonger cap au Sud-Ouest, justement vers les Açores, puis à remonter ensuite vers le Nord-Est, vers Terre-Neuve et le Labrador. Pour les armements à la pêche à la morue portugais, partir de leur pays et faire escale aux Açores, ou même partir des Açores, puis revenir ensuite directement au Portugal, a été la clé de leur domination des campagnes de pêche sur le Grand Banc. A tel point que la morue - morue salée / morue séchée, telle qu’elle revenait dans les cales des Terre-Neuviers - s’est imposée comme le plat national emblématique du Portugal …et du Brésil aussi, comme je l’ai constaté lors de ma récente escale à Rio de Janeiro (Kids Newsletter n°23).

Lorsque les bateaux à vapeur ont détrôné les voiliers au début du XXe Siècle, ils se jouaient de la direction du vent. Ils pouvaient ainsi tirer tout droit en Atlantique, d'Europe continentale vers Terre-Neuve, sans louvoyer (tirer des bords) face au vent. Les Açores furent délaissées, désertées et s'appauvrirent.

A terre, lorsque les Açores furent découvertes, la faune n’était guère significative, avec des lapins - peut-être même importés par les colons portugais... - des belettes, furets et hérissons. Soit pas de quoi nourrir grand monde ni faire commerce de la viande. D’où la nécessité d'abattre les forêts pour élever vaches, moutons et chèvres, qui permettent de produire les excellents fromages de ces îles.

Il n’en est pas de même de la mer. Les abords des Açores ont toujours été riches en cétacés et en thonidés. A tel point que la chasse à la baleine fut longtemps la première activité, très rentable, de l’île. Entre la pêche à la morue et la chasse à la baleine, les Açores connurent des années de prospérité à la fin du XIXe Siècle, révolues depuis bien longtemps. Si ces activités ont disparues, il est toujours possible aujourd’hui d’embarquer à Horta sur de grands bateaux pneumatiques très rapides pour aller observer les baleines qui passent à proximité des îles.

 

J’ai fait escale avec Boogaloo à Horta, le port de Faial, à la fin de l’hiver 2013-2014. Notre bolide y était resté sagement un bon mois avant de mettre le cap sur Monaco une fois le printemps venu. J’ai énormément apprécié ce port, cette île de Faial et il me tarde d’y retourner en famille pour le faire découvrir à mes enfants : Quentin, Malo et Léa.

 

Une des principales activités de Horta est l’accueil des yachts, voiliers et motor-yachts, qui reviennent des Antilles une fois la saison des Caraïbes terminée, pour passer l’été en Méditerranée. Ainsi, de mars à mai, Horta voit défiler de nombreux équipages en convoyage à bord de quelques unes des plus belles unités de plaisance au monde. En fait, sans le savoir évidemment, celui qui a initié cette pratique n’est autre que Christophe Colomb, de retour de sa première campagne d’exploration de la Mer des Caraïbes, auréolé de ses prestigieuses découvertes. Seul inconvénient à l’époque, Le célèbre explorateur naviguait sous les couleurs du Royaume d’Espagne. On peut aisément imaginer qu’il ne reçut pas en terres portugaises un accueil aussi chaleureux que celui qui concourt à l’excellente réputation de Horta aujourd’hui...

 

Tous ces équipages en transit fréquentent LE bar le plus connu des marins d’Atlantique : Peter Cafe Sport, tenu aujourd’hui par le sympathique José Henrique Azevedo. A 57 ans, José représente la troisième génération qui préside aux destinées de cet établissement ouvert le 25 décembre 1918 par Henrique Lourenço Ávila Azevedo (1895 - 1975), un des deux fils de Ernesto Lourenço S. Azevedo (1859 - 1931) qui avait développé un commerce réputé de produits réalisés en utilisant les ossements de baleine. Henrique avait en effet eu l’idée d’ouvrir cette taverne dans le bâtiment mitoyen aux bureaux et magasins de son père. Quelle bonne idée !

 

C’est un petit établissement où il faut parfois patienter longtemps qu’un équipage regagne son bord avant de trouver où s’asseoir. Une fois assis, on évite de se lever, on consomme ! Notamment les bons produits locaux dans l’assiette et le verre. Ce n'est pas à Horta qu'il faut se rendre pour une cure d'amaigrissement ! Les murs et le plafond sont pavoisés de photos de bateaux en escale et des pavillons et guidons qu’ils ont offert aux différents membres de la famille Azevedo qui s’y relaient avec le sourire depuis le début du siècle dernier. Pénétrer Chez Peter, c’est entrer dans le monde authentique des marins au long cours. On y est à l’aise, comme on y était et comme on y sera. Une sorte de bistro éternel à l’épreuve du temps. Un havre de paix où panser parfois les malheurs de traversées Antilles - Açores fort agitées. Le gros mauvais temps spécifique aux dépressions de la charnière de l’hiver et du printemps au nord de l’Atlantique Nord ne fait en effet aucun cadeau aux marins.

 

Chez Peter, on y boit, on y mange, on y raconte des histoires de mer. On compte fleurette aux équipières d’autres bords pour quelques amourettes d’escale. On y refait le Monde aussi. On n’en ressort pas toujours en marchant très droit, du fait probablement des fortes rafales dépressionnaires qui balayent si souvent le port de Horta et ses quais… La vie de marin à terre, quoi. Et il est de tradition que chaque bateau en escale laisse sur le quai un carré de pavés peint par les membres de son équipage selon leur inspiration, signé du nom du navire. On y trouve de tout sur le quai et parfois de belles œuvres que les intempéries effacent inexorablement, pour laisser le pavé à l’inspiration d’autres marins de passage. Ainsi va la vie à Horta.

 

Pour clore cet épisode au sujet de l’archipel des Açores, laissons Albert 1er, Prince de Monaco, nous régaler de sa célébration des atouts naturels de ces îles surgies de nulle part, telles qu’il les a décrites à l’occasion du dernier voyage de l’Hirondelle I, durant l’été 1888. Je Le cite au sujet de Faial où se trouve le port de Horta (1) : "…ces îles açoréennes tantôt arrondies sous la poussée d’un volcan, parfois déchirées dans l’explosion d’un cratère, abruptes sur leurs bords, couronnées de verdure même au-delà des nues ; partout imprégnées d’une grandeur que l’Océan leur donna pour planer sur le domaine de ses tempêtes.

 

Leurs montagnes sont éloquentes avec l’âpreté des laves refroidies au milieu d’espaces brûlés ; avec les cratères muets dans un sommeil que troublent encore des secousses profondes sous le manteau verdoyant dont la nature tropicale semble les avoir couverts pour maîtriser leurs derniers efforts.

 

Au milieu de splendeurs caressées par le miroitement bleu de la mer, dans le cercle d’un horizon toujours plus large à mesure que l’on parvient plus haut, le cœur de l’homme se dilate sous l’impression, vaguement marquée de tristesse et de joie, que donne toujours un contact avec l’infini."

 

Et Le Prince Navigateur d’évoquer le point culminant de l’archipel (2) : "Pico, le grand sommet de l’île voisine, le volcan mort, dont la tête blanchit sous la neige et domine avec la sérénité d’un silence éternel deux cents milles de l’Océan ; Pico, sombre et majestueux sous une robe de tons violets et rouges, dont les profils tranchants s’abaissent d’abord tout droit, puis s’étalent longuement jusqu’à la mer ; Pico, le flambeau éteint de l’archipel, dresse au-delà du détroit ses lignes vigoureuses.

 

La mer lutte, non sans peine, de grandeur avec le géant dont ses eaux moirées par des courants baignent la ceinture, juste au-dessous des villages qui s’allongent en longs rubans pour marquer le domaine des hommes.

 

Plus haut que ces maisons, le vert sombre d’une végétation sauvage précède le désert des régions élevées que le feu de la terre disputait jadis aux nuages. Enfin, et comme pour affirmer l’audace humaine devant les forces capables d’ébranler le monde, un navire apparaît et mouille tranquillement sur la rade, au cours de ses luttes à travers l’Atlantique."

 

Ce superbe texte de Albert 1er, Prince de Monaco ferait une jolie dictée à l’usage de vos maîtres et maîtresses, qu’en dites vous ?

 

 

 

(1) In "La carrière d’un navigateur" - Albert 1er Prince de Monaco - Edition de 1966 - Editions des Archives du Palais Princier - Page 135

 

(2) In "La carrière d’un navigateur" - Pages 136-137

 

 

* J’ai écrit cette newsletter samedi 13 mai. Elle a été préparée dans la journée de dimanche, puis publiée sur le site de l’association (www.oceanoscientific.org) et transmise aux abonnés lundi 15 mai au matin.

Mardi 9 mai 2017

Expédition 2016-2017

Newsletter #24

20°82' Nord - 30°88' Ouest

Vingt-quatre heures à bord

KN 24

Hello Kids, depuis le passage de l’Équateur et l’entrée dans l’Hémisphère Nord, le 1er mai, pour vous retrouver, nous sommes au près serré. C’est-à-dire que nous progressons face au vent dont j’essaye de me rapprocher le plus possible à une vitesse proche de celle de la brise elle-même. Je vis penché en permanence, avec le mât de l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" qui fait un angle de 25° à 30° par rapport à la surface de la mer. Nous remontons quasiment cap plein Nord et nous atteindrons la bordure de l’anticyclone des Açores lorsque cette Kids Newsletter n° 24 vous parviendra*. Soit nous réussirons à pénétrer dans une veine de vents favorables et nous nous échapperons alors vers le Nord-Est et le Détroit de Gibraltar. Soit ses calmes nous dévoreront et nous seront bien dans l’embarras. Mais dans tous les cas, le rendez-vous au Yacht Club de Monaco à 10h00 précises vendredi 2 juin ne sera pas remis en cause. Notre routeur-ange-gardien, Christian Dumard, veille à ce que le gros méchant anticyclone ne nous croque pas tout cru... Dans la sérénité d’une brise de 10 à 14 nœuds où Boogaloo glisse avec élégance, je vais en profiter pour vous détailler ce qui m’occupe sur un cycle de 24h00, bien calé au vent dans le siège de veille d’où je vous écris.

Les poissons volants, exocet de leur nom commun, mitraillent le pont de leurs assauts nocturnes. A l’intérieur ont entend clairement l’impact du choc, puis le battement des ailes-nageoires pour tenter de s’échapper de ce mauvais vol. Certains réussissent à retrouver leur élément. D’autres meurent malheureusement sur Boogaloo comme celui-ci. Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Difficile de dire quand exactement commence un cycle de 24h00 à bord, car il n’y a pas de différence entre le jour et la nuit : Boogaloo demande une attention permanente et la brise ne choisit pas forcément les périodes diurnes pour manifester ses humeurs qui nécessitent d’adapter la voilure, donc de manœuvrer. La période dédiée à la collecte de données scientifiques étant terminée, le programme journalier s’est considérablement allégé.

 

Histoire de prendre un repère, partons de la fin de la dernière séquence longue de sommeil : 2h00 maximum par séquence longue pour un sommeil total de 4h00 à 6h00 par 24h00. Soit le brossage des dents. Moment important qui me met de bonne humeur. Aussitôt après, je fais chauffer de l’eau dans la petite bouilloire sur le petit réchaud. Il s’agit d’eau de mer dessalinisée, produite au gré d’une heure de fonctionnement du dessalinisateur environ toutes les 36 heures. Pendant ce temps, en attendant le sifflement de la bouilloire, je connecte le téléphone satellite Iridium et je consulte la messagerie des mails sur l’ordinateur de bord.

 

Cette messagerie mail qui permet de transmettre textes et photos est le lien avec la terre. J’utilise très rarement la fonction phonie - le téléphone lui-même - sauf dans quelques cas : pour bénéficier d’une assistance technique lorsque les pilotes automatiques ont cessé de fonctionner, par exemple ; pour être en direct  avec la maison à 19h59 heure française le soir de chaque élection afin de savoir qui gagne qui perd ; pour féliciter mes enfants : Quentin, Malo et Léa lorsqu’ils ont de bonnes notes, ce qui est fréquent, j’en suis fier ! Ou pour échanger avec vous dans vos classes.

 

L’heure d’usage à bord est l’heure du Temps Universel - TU, comme exposé dans la Kids Newsletter n° 17. Mais mon rythme de vie s’organise dans un compromis quelque peu anarchique entre cette heure officielle, l’heure française - étant donné que tous mes échanges avec la terre se font durant votre journée - et l’heure locale où je me trouve, c’est-à-dire l’heure du soleil. Par conséquent, je me brosse les dents parfois de nuit, parfois de jour.

 

La bouilloire siffle, je coupe l’arrivée de gaz et je me prépare ce qui pourrait être considéré comme un petit déjeuner. Je ne suis pas très doué pour le petit déjeuner depuis le départ de Monaco, le 17 novembre. A part au tout début, quatre jours durant, lorsque j’avais de la brioche vendéenne en accompagnement de ma tasse de thé. Ça ressemblait alors à un petit déjeuner, puis ça a vite évolué en grand n’importe quoi. Par exemple, après la brioche vendéenne, j’ai fait une cure de bonnes madeleines et de petits gâteaux de notre partenaire Biscuiterie Jeannette 1850, ce qui n’était en fait qu’un prétexte déguisé pour satisfaire ma gourmandise pour ces excellentes friandises. Depuis Rio de Janeiro (Brésil), je mange deux petites barres énergétiques (pas énergisantes !) à base de céréales mélangées. Comme je n’ai pas franchement calculé les quantités en fonction du nombre de jours de navigation, je vais en manquer dans peu de temps. Comme de chocolat, de gâteaux coupe-fin de nuit, de pain longue conservation, de fruits, etc. Je n’y attache guère d’importance. Je fais preuve d’une réelle désinvolture en matière de nourriture, alors que j’ai une rigueur d’airain pour tout le reste.

 

D’ailleurs, au niveau de l’alimentation en général, je ne suis guère un exemple de sérieux diététique. Néanmoins, à me nourrir en écoutant mon corps et en anticipant les périodes d’efforts ou de manque de sommeil, comme de froid persistant, j’ai réussi, surtout dans le Grand Sud, à ne jamais avoir la sensation de faim, absolument jamais froid et je n’ai fait que deux mini crises d’hypoglycémie en déjà 133 jours de navigation en solitaire dans toutes sortes de conditions, alors que j’en subis assez régulièrement à terre avec un rythme de vie théoriquement mieux réglé. Comme quoi, vivre à l’instinct, plus comme un animal que comme un marin super protégé par des principes et des règles, n’est pas un mauvais choix…

 

Puisque nous en sommes au chapitre alimentation, précisons que je ne fais donc qu’un seul repas par jour, généralement un sachet de lyophilisé - un excellent produit recommandé par Ariane Pehrson (Lyophilise.com à Lorient) dont je me régale. Le Chicken Korma and Rice (Expedition Foods), tout particulièrement, est vraiment délicieux ! Je n’en ai plus depuis longtemps. Parfois c’est un très bon plat préparé sous vide, toujours conseillé par Super Ariane. C’est plus rare, car il faut pour cela sortir la cocotte minute et utiliser beaucoup plus de gaz, en veillant à ce que cocotte, eau bouillante et sachet brulant n’aillent pas visiter la cabine en ordre dispersé au gré d’une vague traitresse que Boogaloo se serait amusé à défoncer d’une étrave ravageuse. Car Mon P’tit Bonhomme n’est pas avare de blagues en ce genre, le bougre. Je lui pardonne, évidemment.

 

Si je ne consomme ni lyophilisé, ni plat préparé, il arrive que je cuisine mes fameuses nouilles ou spaghetti au thon à la sauce tomate. Mais guère plus de quatre ou cinq fois depuis le début. J’ai été plus gourmand au départ grâce à l’excellent jambon cru d'Auvergne "Laborie" et à la tomme de chèvre de Normandie que m’avait préparés Nicolas Cherrier qui tient avec son épouse Sophie Le Fils du Pôvre à Cabourg, la meilleure épicerie fine du site, où je trouve notamment mon camembert préféré à n’importe quelle heure du jour sept jours sur sept : le Champ Secret, produit par Patrick Mercier selon les traditions comme quand j’étais un tout jeune Normand déjà hyper gourmand de camembert. D’ailleurs, si vous saviez comme j’ai envie d’un gros morceau de Champ Secret avec du bon pain de trois livres bien cuit par Pierre Mansour de la Maison Florent (Cabourg) avec un (plusieurs !) verre de cidre frais produit par Michèle et Patrice Giard à Montreuil-en-Auge (14340). J’en rêve ! Vivement que j’aille revoir Ma Normandie…

 

Je fais aussi une importante consommation de thon, par boîte de 400 grammes (un bloc de thon de 280 g) que je prépare dans sa boite en enlevant l’eau de conservation, en ajoutant du jus de citron (en bouteille), un filet d’huile et une bonne dose de mayonnaise. Une boite fait un repas. J’en mangeais deux d’affilée lorsque je barrais toute la journée quand j’avais été lâchement abandonné par mes pilotes automatiques. J’ai aussi dégusté quelques bonnes boîtes de maquereaux marinés. Le tout de marque Petit Navire. J’ai encore un peu de thon. Les maquereaux ne sont plus qu’un souvenir. Dommage.

 

Une fois ce plat principal consommé lentement, c’est important, je mange un fruit. Je conserve un excellent souvenir de mes pamplemousses roses d’Afrique du Sud, dégustés un par jour pendant 59 jours dans le Grand Sud. Un délice. Maintenant j’ai des oranges brésiliennes de piètre qualité et de grosses pommes Granny Smith dont la taille révèle une culture riche en engrais et autres produits Monsanto and Co. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, n’est-ce pas ? Vivement les pommes normandes !

 

Enfin, je conclus avec un thé vert sencha, idéal pour la digestion et pour le plaisir. Je bois beaucoup de thés et de tisanes à bord et je suis friand parfois, en soirée ou dans la nuit, d’une soupe lyophilisée. Je fais de savants cocktails de deux sachets de différents potages, avec un faible pour la soupe à la tomate, à défaut de tomates fraîches dont je fais une consommation époustouflante toute l’année, surtout au printemps et à l’été.

 

Qu’il fasse froid ou chaud, je consomme chaque jour, ou une fois toutes les 36 heures tout au plus, 300 grammes de lait condensé sucré (Régilait, produit français). Mon arme secrète pour avoir toujours la pêche. Heureusement, il m’en reste presque jusqu’à Monaco. Ouf !

 

Revenons au petit-déjeuner. Ce moment est important parmi d’autres, car je suis plus particulièrement attentif aux mouvements de Boogaloo, à l’état de la mer, aux formes des voiles. Souvent, une fois le thé bu, je modifie un réglage, éventuellement je change la voilure.

 

La priorité est évidemment à la bonne progression de Boogaloo sur la route choisie. Quoi que je fasse, un changement de force de vent interrompt toute activité, même le sommeil, car il suffit d’un rien de différence dans le rythme de Boogaloo pour que je me réveille instantanément, même fatigué, sans avoir à faire appel aux services de SamSam, le fameux réveil rouge qui carillonne à tout va, cadeau de mes enfants.

 

Généralement, vers 3h00 TU, donc souvent la nuit, je vais chercher via une communication Iridium un fichier Grib grâce au service Navimail2 de Météo-France. Il va malheureusement s’arrêter bientôt alors que c’est une aide inestimable à la navigation, grâce à une prévision d’une incroyable qualité, même dans des endroits où peu de navires croisent. Une fois en possession de ces prévisions j’effectue des simulations de routes grâce au logiciel Adrena développé pour la compétition. De son côté, Christian Dumard utilise également Adrena, mais en collectant beaucoup plus d’informations météo que je ne le fais moi-même à bord, de sources différentes de toute la planète météo. De ce fait, nous marions nos analyses, lui sur le plus long terme (dix jours) en matière de stratégie globale et moi à court terme (deux jours) pour effectuer le choix de la route à suivre en fonction de la situation précise que nous rencontrons sur l’Océan.

 

Plusieurs fois par jour, notamment en fonction de petites évolutions météo, de phénomènes imprévus ou d’importance, je retourne travailler à la table à cartes pour optimiser notre navigation. Précisons que je n’utilise pas de cartes en papier, que tout se fait sur l’ordinateur de bord auquel est connectée la centrale de navigation qui délivre tous les paramètres disponibles : position géographique précise, force et direction du vent, cap suivi en surface (Cap compas), mais également sur le fond (Cap vrai). Il y a en effet une différence entre ce qui se passe en surface et la route réellement suivie, notamment du fait des courants marins qui peuvent accélérer ou ralentir le voilier de 10% de sa vitesse ou beaucoup plus, n’importe où sur l’Océan, même en Méditerranée où il n’y a théoriquement pas de marées comme en Normandie et en Bretagne.

 

Enfin, le plus gros morceau de ma journée est consacré au "travail de bureau". Il s’agit de tout le travail effectué par mail. Tous les échanges, principalement avec Cécile mon épouse, qui relaye les informations, questions, réponses et documents de travail à destination de l’extérieur comme vers Boogaloo. J’y passe des heures et des heures, mais bien moins que Cécile. Car chaque mail que je lui expédie peut représenter plusieurs heures de travail à suivre. Dans ce cadre, je suis bien conscient ne pas être celui qui travaille le plus, même si cela m’occupe énormément. Cécile est la vigie terrestre de cette expédition et sa contribution inestimable 24H, 7/7 jours est déterminante dans notre succès.

 

Dans ce que je dénomme le "travail de bureau", il y a la rédaction des deux newsletters hebdomadaires, complétée de quelques articles rédigés régulièrement pour le quotidien Paris-Normandie, sis à Rouen ma ville natale, et pour le magazine Marine & Océans. Une newsletter, c’est entre quatre et sept heures de rédaction non-stop, puis environ trois heures de relecture - rewriting morcelées en cinq ou six séances réparties sur 24 à 36 heures. C’est parfois compliqué, soit parce qu’il fait une chaleur intenable à bord comme récemment autour de l’Équateur, soit parce que les conditions de navigations sont musclées et la vie à bord très agitée.

 

Sinon, je passe du temps à contempler la mer et le ciel, à me régaler du vol des oiseaux et de leurs chasses aux poissons volants. Si ce n’est que depuis quelques temps Boogaloo et moi sommes vraiment seuls au Monde, plus aucun oiseau ne nous rend visite. Nous les retrouverons désormais en nous rapprochant de terre. Bientôt.

 

 

* J’ai écrit cette newsletter dimanche 7 mai. Elle a été préparée dans la journée de lundi, puis publiée sur le site de l’association (www.oceanoscientific.org) et transmise aux abonnés mardi 9 mai au matin.

Au Marché de l’Océan : "Qui veut de mes salades, belles salades, pas chères les salades !" Au sortir du Pot au Noir, dans cette zone tropicale très chaude, le bleu de la mer est constellé de grandes plaques jaunes. Ce sont des sargasses, plutôt marron clair une fois sorties de l’eau. Toute une vie s’y développe. Seul inconvénient, elles se prennent dans la quille, la dérive, le gouvernail, l’hydro générateur : c’est une algue envahissante.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Mardi 2 mai 2017

Expédition 2016-2017

Newsletter #23

0°65' Nord - 28°56' Ouest

Petit tour par le Brésil

KN 23

Hello Kids, je suis de retour dans l’Hémisphère Nord, depuis le 1er mai à 15h35 TU, soit 17h35 à Monaco ou en Normandie, après en être sorti le 18 décembre. J’ai donc quitté l’automne du Sud pour retrouver le printemps du Nord qui embellit vos jardins en ce moment magique de l’année où fleurit le délicat muguet. A mon niveau, cela ne change rien : il fait chaud, très chaud, dans cette zone tropicale, au-dessous comme au-dessus de l’Équateur. J’ai hâte d’en sortir afin de retrouver des conditions de vie à bord plus agréables, car l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" tout en carbone est un véritable four dans ces conditions. Et moi je cuis dedans ! Après être sorti des Quarantièmes, à partir du lundi 3 avril j’ai passé neuf jours sans pilote automatique (Kids Newsletter n° 22 / Newsletter n° 23) en direction de Rio de Janeiro (Brésil), où je me suis arrêté dix jours pour remettre en service les deux pilotes automatiques afin de poursuivre tranquillement ma route vers Monaco. J’ai quitté le Brésil samedi 22 avril et tout s’organise à Monaco pour que j’accoste à 10h00 précises vendredi 2 juin.

Nous sommes arrivés à Rio de Janeiro par le Sud-Est en longeant la plage de Leblon, d’Ipanema, puis celle de Copacabana (sur la photo), sous le regard du Christ du Corcovado (au-dessus du deuxième grand immeuble en partant de la droite), avant de contourner le célèbre Pain de Sucre (à l’extrême droite) pour pénétrer dans la baie et rejoindre la Marina da Gloria, le port olympique des derniers J.O.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

J’ai donc encore un mois complet de navigation devant l’étrave. Cool ! De ce fait, je ne devrais pas être en retard au rendez-vous avec S.A.S. Le Prince Souverain Albert II de Monaco qui me tendra les amarres au ponton d’honneur du Yacht Club de Monaco - comme je lui avais moi-même remis le 17 novembre lorsque j’ai quitté la Principauté pour cette grande aventure. Or, cette dernière partie de l’expédition est également celle où je vais me heurter à des vents contraires en périphérie de l’anticyclone des Açores, ainsi qu’à des zones de calmes et de grains. Pour les calmes et les grains violents, cela a déjà commencé, je suis en plein dedans ! Même s’il n’y a plus les fortes dépressions et les énormes vagues du Grand Sud, ce n’est pas pour autant une navigation de tout repos. Je ne dois donc pas traîner en chemin si je veux honorer ce rendez-vous du 2 juin - 10h00 …et retrouver toux ceux que j’aime et qui me manquent de plus en plus, car j’ai quitté mon domicile de Cabourg puis le port de Caen- Ouistreham samedi 22 octobre, il y a déjà six mois. C’est long six mois loin d’eux !

 

En quittant Rio le 22 avril, je suis parti le jour suivant la fête nationale célébrant la découverte du Brésil le 22 avril 1500 par le Portugais Pedro Alvares Cabral (1467 - 1520). Je n’ai d’ailleurs pas compris pourquoi on fête un 21 l’anniversaire du 22. Mystère brésilien…

 

L’Histoire retient que le roi du Portugal, Manuel 1er, dit "Le Fortuné", confie une flotte de treize navires à Pedro Alvares Cabral pour aller aux Indes poursuivre le travail entamé par son compatriote Vasco de Gama (1460 - 1524). Parmi les équipages, on compte quelques uns des meilleurs navigateurs portugais, spécialistes de la navigation astronomique.

 

On attribue souvent et à tort à Vasco de Gama la "découverte" de l’Inde le 21 mai 1498. En réalité, il fut le premier occidental à y accoster - dans la cité-Etat de Calicut, Kozhikode aujourd’hui. C’est-à-dire à descendre tout l’Atlantique à la voile, à doubler la pointe sud de l’Afrique dénommée alors le Cap des Tempêtes - désormais le Cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud) - puis à remonter l’Océan Indien du Sud-Ouest vers le Nord-Est pour accoster enfin en Inde. D’ailleurs, l’accueil qui lui est réservé n’est pas celui escompté et il revient les cales vides. Car Vasco de Gama arrivait du Portugal avec du miel, des chapeaux et des pots de chambre. Il escomptait les échanger contre de précieuses épices, de riches soieries et des pierres précieuses. Mais les Indiens ne sont pas dupes et Vasco de Gama est contraint de s’enfuir en prenant quelques notables indiens en otage pour se protéger du courroux du chef du gouvernement local : le Zamorin de Calicut. Il n’en est pas moins acclamé à son retour au pays et nommé "Amiral des Indes". Bref, il s’en tire bien !

 

A cette époque, le commerce des épices et des soieries produites en Inde, ainsi que des pierres précieuses, était contrôlé à terre par les musulmans. Ils contrôlaient en fait toutes les routes terrestres entre l’Asie et notre Europe, de religion chrétienne sous l’autorité du Pape. Aucune cargaison ne pouvait donc passer de l’Est vers l’Ouest sans l’accord des armées musulmanes, notamment celles de l'Empire Ottoman - en simplifiant, la Turquie d'aujourd'hui. La caravane devait au mieux s’acquitter de lourdes taxes. Dans le pire des cas et le plus fréquemment, les marchandises étaient volées et les caravaniers assassinés ou capturés pour être vendus comme esclaves.

 

Encouragés par les papes qui se succédèrent à la fin du XVe Siècle et au début du XVIe, les rois d’Espagne et du Portugal rivalisèrent sur les océans pour découvrir de nouvelles routes maritimes afin d’éviter l’immense zone terrestre contrôlée par les musulmans et pour s’approvisionner directement en Inde, puis plus généralement en Asie au fur et à mesure de la découverte et de la colonisation de nouveaux territoires. Hollandais, Anglais et Français adoptaient la même démarche. Mais ce sont bien les Portugais et les Espagnols qui étaient alors les plus puissants navigateurs et, par conséquent, les plus riches commerçants. Car il suffisait sur une flotte de plusieurs dizaines de voiliers qu’un seul revienne chargé d’épices, de soieries et de pierres précieuses pour qu’une immense fortune soit constituée. L’investissement était alors faible comparé au bénéfice réalisé. La vie des marins importait peu, tant aux monarques, qu’aux commerçants …ou au Pape lui-même, qui prélevait d’ailleurs un pourcentage conséquent sur tout ce commerce hyper rentable. Une partie de ces sommes permettait de financer ensuite des croisades afin de conquérir des territoires sur le sol musulman. Plutôt que "conquérir", on employait le terme "évangéliser". Or, il s’agissait bien pourtant de guerroyer, d’anéantir toute résistance et de chasser les chefs musulmans pour imposer aux populations locales les doctrines chrétiennes afin de les asservir au service de la papauté, tout en pillant leurs ressources naturelles. Vaste programme au nom de Dieu !

 

C’est ainsi que le Génois (Italien) Christophe Colomb partit vers l’Ouest pour le compte du Roi d’Espagne, découvrant de nouvelles terres : Bahamas, Cuba et Haïti - Saint Domingue en premier (1492). Sous pavillon portugais Vasco de Gama partit vers les Indes par le Sud et par l’Est (1498) en contournant l’Afrique. Quant à Pedro Alvares Cabral il partit donc du Portugal vers le Sud pour emprunter le chemin de son compatriote Vasco De Gama trois ans après lui. Ce n’est qu’en 1521, que le Portugais Fernand de Magellan ouvrira la voie du Sud-Ouest et de l’Ouest à l’extrémité Sud des Amériques, pour le Royaume d’Espagne.

 

Officiellement, Pedro Alvares Cabral et ses treize navires sont donc censés cingler vers l’Inde par le Cap des Tempêtes, en contournant le continent africain. Mais il y a embrouille ! Les historiens sont partagés quant à la mission exacte de cette flotte portugaise. En effet, selon la version officielle, Vasco de Gama aurait conseillé à son compatriote de prendre garde aux calmes de l’Afrique sous l’Équateur et donc de réaliser une grande boucle par l’Ouest. Ce que j’ai fait avec Boogaloo et que tous les concurrents du Vendée Globe répètent tous les quatre ans. Il faut en effet contourner l’anticyclone de Sainte-Hélène et profiter des vents et des courants favorables le long du Brésil. Mais à cette époque, personne ne sait que l’Amérique du Sud existe. Donc la boucle dans l’Ouest recommandée par Vasco de Gama à Pedro Alvares Cabral n’est pas limitée géographiquement.

 

De ce fait, lorsqu’une terre est en vue et que la flotte portugaise accoste sur ce qui va devenir le Brésil - Brasil en portugais, du nom du bois pau brasil avec lequel on fabrique de la teinture rouge et qu’on trouve à la fois au Portugal, mais également au Brésil en plus grande quantité - on conclut un peu rapidement que ce sont sûrement les tempêtes et les courants qui ont détourné les treize navires de leur route initiale. Faire croire cela à des terriens, passe encore. Mais à des marins, pas question ! Surtout quand on sait que quelques uns des meilleurs navigateurs portugais de l’époque sont de la partie. En effet, tempêtes du nord de l’Hémisphère Sud et courants écartent au contraire les navires de la côte brésilienne. Il y a donc clairement une volonté inavouée de progresser le plus à l’Ouest possible pour toucher terre et conquérir un nouveau territoire, puis de le coloniser au profit du royaume du Portugal et de Manuel 1er "Le Fortuné".

 

Les historiens qui soutiennent cette thèse rappellent qu’en 1500, avant que Pedro Alvares Cabral ne débarque sur les côtes brésiliennes, qui ne le sont donc pas encore, Vicente Yanez Pinzon, un des capitaines de la flotte commandée par Christophe Colomb, qui travaille pour le Royaume d’Espagne, rappelons-le, a découvert une nouvelle terre qui s’avère être la côte septentrionale (située au Nord) du futur Brésil.

 

A cette époque, le Pape s’est abrogé le droit de décider ce qui appartiendra à qui : Espagnols et Portugais, des terres nouvellement découvertes - sans d’ailleurs se soucier de savoir si elles sont habitées ou non et considérant de fait que leurs occupants en seront spoliés (dépossédés). Or, pour diverses raisons confuses et au titre d’un traité ambigu datant de 1494 délimitant ce qui reviendra aux Espagnols et ce qui sera portugais, cette découverte des Espagnols n’est pas reconnue officiellement. Ou, pour le moins, elle n’est pas enregistrée au crédit du Royaume d’Espagne. On peut difficilement imaginer que les Portugais n’aient pas sauté sur l’occasion pour "découvrir" à leur tour cette fameuse terre …et se l’approprier avec l’assentiment du Pape. En ce qui me concerne, je crois plus à cette version qu’à celle des treize équipages qui se perdent à l’Ouest tout en faisant cap au Sud. Hum, hum…

 

Pour l’honneur normand, rappelons que le Honfleurais Paulmier de Gonneville, mit lui aussi pied à terre sur les côtes brésiliennes, en 1504, dans un secteur où l’Italien Amerigo Vespucci (1454 - 1512) avait débarqué avant lui pour le compte du Royaume du Portugal.

 

Pedro Alvares Cabral découvre donc une terre, qu’il prend d’abord pour une île et qu’il baptise l’Ilha de Vera Cruz (l’Ile de la Vraie Croix), avant que ce nom n’évolue en Terra de Santa Cruz (Terre de la Sainte Croix) lorsqu’il paraît évident qu’il s’agit d’un continent et non d’une île.

 

Quant à Rio de Janeiro (la Rivière de Janvier), elle fût découverte le 1er janvier 1502 par Gaspar de Lemos et Gonçalo Coelho, deux capitaines de la flotte commandée par Pedro Alvares Cabral. Ce qui renforce la thèse de la découverte délibérée et non accidentelle du Brésil par Pedro Alvares Cabral sur ordre confidentiel du Roi, car demeurer près de deux ans, de 1500 à 1502 sur une côte où on s’est soi-disant égaré, alors qu’on est censé aller en Inde en contournant l’Afrique, c’est louche ! Un peu comme si, au lieu de prendre le Détroit de Gibraltar pour aller à Monaco, je me retrouvais aux Antilles… Rassurez-vous, je fais bien route sur Monaco !

La veille de mon arrivée à Rio de Janeiro, nous sommes passés dans une zone où beaucoup de cargos recyclés servent désormais de plateformes de forage pétrolier. Par curiosité, j’ai rasé l’étrave de celui-ci. On remarque à l’avant la plateforme où se pose l’hélicoptère qui procède aux changements d’équipage.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

En nous rapprochant de l'Équateur, nous avons retrouvé nos amis les fous à pieds rouges (bien visibles sur cette image), cousins tropicaux des fous de bassan de nos côtes de Manche et de Bretagne Nord. Ils ont passé des heures à pourchasser les poissons volants que l’étrave de Boogaloo effrayait. Mais les exocets sont malins et réussissent le plus souvent à leur échapper ! Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lundi 24 avril  2017

Expédition 2016-2017

Mise à jour

28°' Sud - 42° Ouest

Dernière ligne pas droite

Après une escale technique de dix jours, Yvan Griboval à bord de l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" a quitté Rio de Janeiro (Brésil) samedi 22 avril en début d’après-midi (18h00 TU), cap sur Monaco où son arrivée s’organise en vue d’un accostage au ponton du Yacht Club en milieu de matinée du vendredi 2 juin. 

Samedi 22 avril en début d’après-midi en baie de Rio de Janeiro, Yvan Griboval reprend la mer dans un vent léger et un ciel plombé. Des brises favorables lui sont promises dès le milieu de la nuit suivante pour mettre le cap vers l’Equateur, afin de revenir dans l’Hémisphère Nord, en route pour Monaco, sa destination finale.

Photo Maxime Dréno - OceanoScientific

Quatre difficultés caractérisent cette fin de parcours du solitaire. D’abord, il y a la traversée du Pot au Noir, cette zone tropicale inhospitalière parsemée de calmes et de grains violents. Ensuite, le plus gros morceau est le contournement de l’anticyclone de Sainte-Hélène au gré d’une immense boucle dans l’Ouest, avec des brises soutenues, mais également des risques de calmes. A moins qu’un hypothétique passage s’ouvre à l’Est. Troisième difficulté, l’approche de l’Europe pour s’engager dans le Détroit de Gibraltar. Cette fin de navigation en Atlantique est promise face au vent, peut-être même au louvoyage, dans une mer cassante. Enfin, avant de déguster une coupe de Moët et Chandon bien fraîche au ponton d’honneur du Y.C.M., il faudra s’accommoder des humeurs de la Méditerranée : calmes et coups de vent de fin de printemps.

 

Bref, encore une quarantaine de jours de travail de marin. Pas forcément la partie de ce tour du monde la plus simple. Heureusement, Christian Dumard analyse la météo en routeur attentif et aide Yvan à trouver la meilleure voie pour cette ultime ligne …pas droite du tout !

Lundi 10 avril  2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #22

28°' Sud - 42° Ouest

KN 22

Escale Technique à Rio

Hello Kids, quelques heures après avoir terminé avec succès l'expédition océanographique de 60 jours dans le Courant Circumpolaire Antarctique (voir communiqué) sous les trois caps (Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn), Yvan Griboval s'est trouvé confronté à un sérieux problème lundi 3 avril à bord de l'OceanoScientific Explorer "Boogaloo".

 

Ses deux pilotes automatiques sont en effet hors service. Malgré six heures de bricolage sous les directives de notre partenaire Philippe Roger (SkySat), Yvan n'a pas réussi à faire un pilote en état de fonctionner des deux défaillants. De ce fait, il fera un petit détour à Rio sur la route de Monaco. Il avait ainsi 1 000 milles nautiques à parcourir en ligne directe, soit environ 1 300 à 1 500 nautiques en réalité, car il a navigué en partie dans du vent contraire le contraignant à louvoyer.

Cet exercice est particulièrement délicat pour un solitaire sur ce type de voilier de performance. Tout à bord devient vite impossible et si personne ne tient la barre, homme ou pilote, le voilier est livré à lui-même et les sorties de route sont rapides et parfois brutales.

Au terme de ce marathon où le sommeil manque avec des journées non stop de quinze à seize heures à la barre, Yvan a déjà bien avancé et devrait atteindre Rio demain soir mardi 11 avril ou mercredi matin.

Compte tenu des liens étroits entre le Yacht Club de Monaco, dont Yvan et Boogaloo portent les couleurs, et le Iate Clube do Rio de Janeiro, tout est mis en œuvre pour que l'escale soit rapide et efficace. Son fidèle équipier, Maxime Dréno, s'envole ce soir pour Rio et sera donc sur place dès demain matin pour l’accueillir et gérer au mieux cette escale technique.

Les Newsletters reprendront quand Yvan repartira de Rio après un repos bien mérité et une fois les problèmes de pilote résolus.

Sans pilote automatique, Yvan Griboval est rivé à la barre plus de quinze heures par 24h00. Un marathon de 1 300 à 1 500 milles nautiques environ, soit un peu plus d'une semaine pour atteindre Rio. Un combat contre la fatigue et la perte de lucidité. Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lundi 3 avril  2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #21

39°50' Sud - 44°31' Ouest

Préserver le Grand Sud

Hello Kids, lorsque vous lirez ces lignes* nous serons sortis depuis quelques heures, l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" et moi, des Quarantièmes, dans lesquels nous sommes entrés le premier février.  Nous aurons donc passé soixante jours dans cette zone maritime du Grand Sud entre 40° et 56° Sud, peu ou pas explorée. J’aurai ainsi réussi avec succès la première campagne jamais réalisée de collecte de données océanographiques à l'interface océan - atmosphère à la voile dans le Courant Circumpolaire Antarctique sous les trois caps (Bonne-Espérance, Leeuwin, Horn), de surcroît en solo et sans brûler un seul litre de gas-oil, à destination de la communauté scientifique internationale en charge de l'étude des causes et conséquences du changement climatique. En franchissant cette ligne imaginaire du 40e parallèle Sud, je suis partagé entre plusieurs sentiments : fierté d’avoir réussi ma mission océanographique ; joie de bientôt  retrouver ceux que j’aime (au moins encore 40 jours de mer quand même !) ; immense tristesse de quitter une partie de l’Océan où je me sens si bien, en harmonie avec mon environnement, heureux.

Ce puffin majeur (Puffinus gravis) ou grand puffin se pose avec élégance dans le sillage de Boogaloo, car nous brassons l’eau de mer en surface, le krill (minuscules crevettes) est tout tourneboulé et les dizaines, parfois centaines d’oiseaux qui nous suivent font un festin. Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Ce matin*, alors que la température de l’eau de mer de surface est de treize degrés, je n’ai plus aucun oiseau dans le sillage. C’est la première fois que cela arrive depuis le départ de Cape Town (Afrique du Sud), soit depuis 64 jours. Cela me fait tout drôle et je n’arrête pas de regarder si Gros Pépère, ou Coco, ou la Famille Pataplock ne viendrait pas quand même me faire un petit coucou. Je commence à me demander si je les reverrai…

 

Avant-hier encore, lorsque j’étais dans la zone des icebergs, avec une eau de mer à sept degrés, dont le minima a plongé jusqu'à 5°30, j’avais des dizaines, peut-être même plus d’une centaine de puffins majeurs (Puffinus gravis) de la Famille Pataplock, comme sur la photo ci-dessus, qui tournoyaient dans le sillage de Boogaloo, se régalant de krill (minuscules crevettes) sous le regard d’une demi-douzaine d’albatros à sourcils noirs (Thalassarche melanophris) toujours très gracieux dans leurs circonvolutions.

 

Cela illustre parfaitement la crainte que nous avons tous, amoureux des superbes oiseaux du Grand Sud. Avec le changement climatique et le réchauffement de la température de l’eau de mer, le krill va se déplacer ou disparaître. Les oiseaux n’auront donc plus de quoi se nourrir dans leur zone de vie. Tout comme les baleines d’ailleurs, car ils partagent le même menu au grand restaurant self-service de l’Océan. Comment feront-ils ? Se déplaceront-ils eux aussi ? Disparaîtront-ils faute de nourriture alors qu’ils sont sur la planète depuis des millions d’années, depuis bien avant nous ? L’Homme réussira-t-il l’odieux exploit de les réduire à néant définitivement ? La réponse est sûrement entre ces extrêmes, mais la situation est terriblement préoccupante.

 

Dans tous les cas, il faut bien comprendre que la pollution de nos villes de pays civilisés engendre un dérèglement climatique global, sur toute la Planète. Ses conséquences se propagent jusqu’au désert océanique des Quarantièmes et Cinquantièmes où je viens de passer deux mois, où l’Homme est inexistant. Je n’y ai d’ailleurs rencontré personne, en dehors de L’Astrolabe croisée de loin (Kids Newsletter n° 16), d’un chalutier sûrement pirate près de Crozet (Kids Newsletter n° 13) et quelques chalutiers-usines sous la Nouvelle-Zélande. Dans ce dernier cas, c’est moi qui me rapprochais de la terre et des hommes et non eux qui s’égaraient dans le Courant Circumpolaire Antarctique.

 

Je reviens donc du Grand Sud avec la ferme volonté de témoigner de ce que j’ai vu, comme je le fais à deux reprises chaque semaine avec cette Kids Newsletter du lundi et la Newsletter du vendredi. Témoigner de la beauté de ce que j’ai passionnément admiré pendant plus de deux mois, avec des couleurs incroyables qu’on ne voit nulle part ailleurs. Témoigner de la beauté de tous ces oiseaux qui n’ont pas peur de l’Homme, qui sont dans un environnement pur, avec de la nourriture à foison. Sûrement dans des conditions naturelles qui étaient celles de nos rivages il y a plusieurs centaines, voire milliers d’années.

 

Je reviens aussi avec la ferme volonté et une certaine rage au cœur pour me battre jusqu’à mon dernier souffle de vie pour que cette bande d'océan entre le 40e et le 60e Sud - hors eaux territoriales australiennes (Tasmanie), néo-zélandaises, chiliennes et argentines, évidemment - devienne une réserve naturelle où on ne puisse : ni pêcher, ni chasser, ni forer le sous-sol marin pour y piller le pétrole, le gaz ou les métaux rares. Pour que cette zone soit sanctuarisée, c’est-à-dire totalement et définitivement protégée en la rattachant à l'Océan Austral, à la Mer de Ross et au continent antarctique, déjà protégés par des traités internationaux qui se renforcent peu à peu au fil du temps au profit de la sauvegarde de l’environnement, notamment grâce aux efforts permanents de S.A.S. Le Prince Souverain Albert II de Monaco.

 

Je ne peux pas imaginer que mes enfants, que les enfants de mes enfants, que vos propres enfants vivent ce que j’ai vécu moi-même sur la côte normande du Pays de Caux où j’ai tant et tant arpenté l’estran (la zone terrestre entre la limite de marée haute et la limite de marée basse) et sillonné la bande maritime des deux à cinq milles nautiques (3 à 9 km).

 

A Saint-Valéry-en-Caux, avant de pratiquer la voile et au tout début de cette pratique en régate, j’allais en mer avec mon Père sur notre bateau, la Marie-Galante. Mon Père était un exceptionnel pêcheur de truites et de saumons à la mouche en rivière en Normandie (et oui, il y avait des saumons en Normandie dans les années 40-50 !) et un bon pêcheur en mer, souvent vainqueur des concours auxquels nous participions avec passion dans notre petit port à marée. Je n’ai que des souvenirs de bonnes pêches. Dans les concours, souvent je remportais le premier prix Junior des moins de quinze ans - j’en avais 12-13. J’ai ainsi détenu le record annuel de la plus grosse dorade avec une prise de plus d’un kilo ; de la plus grosse morue avec un poisson de près de quatre kilos. Pendant ce temps, mon Père détenait lui aussi le record de la plus grosse morue avec des prises successivement de sept, neuf puis plus de onze kilos. Des monstres ! Il avait également péché à la ligne, mais hors concours malheureusement, un congre de douze kilos, long de 160 centimètres. Impressionnant ! Quant à notre record à quatre, soit quatre lignes, pendant quatre heures de concours, c’est plus de 80 kilos de morues pêchées  …et mangées. Car ces concours nourrissaient tout le village et bon nombre de fermes dans les terres qui nous offraient leurs produits en retour, sans oublier l’hospice tenu par les bonnes sœurs. Pas un poisson n’était perdu et rien dans le poisson lui-même n’était jeté en dehors des arêtes et de la peau. Poussy, mon gros chat angora gourmand de poissons et de crevettes, se régalait des joues de morues, le chanceux et de tous les petits morceaux de chair qui demeuraient collés aux arrêtes et que Maman décortiquait soigneusement pour mon compagnon à quatre pattes. Bref, c’était poisson pour tous !

 

Or, lorsque j’observe aujourd’hui les bateaux de pêche côtière rentrer au port ou sur les plages je ne constate la présence à bord que de quelques moruettes prises au filet, d’une taille que nous avions l’habitude de remettre à la mer lorsque j’avais 12-13 ans. Conclusion, il n’y a plus de poisson ou si peu dans la bande côtière des cinq milles en Manche Est, quarante ans seulement après nos prises à la ligne des années 70.

 

Comme nous étions une quinzaine de bateaux par concours, soit environ une soixantaine de cannes, le village mangeait donc de la morue au printemps. Puis du maquereau, grillé, en "safate" (fumé en patois cauchois), en pâtés et rillettes et à toutes les sauces l’été, notamment à la moutarde et au cidre, une spécialité de Maman. L’automne, moins car c’est la saison du hareng. Mais l’hiver aussi, étant donné que chaque maîtresse de maison rivalisait d’ingéniosité pour concocter les meilleures recettes de conservation de maquereaux marinés en bocaux, prétexte à débats sans fin entre ces dames.

 

Là aussi en matière de maquereaux, nos pêches étaient "miraculeuses" comparées à ce qu’elles sont devenues quarante ans plus tard. En ce qui nous concerne, toujours à quatre pêcheurs à bord de la Marie-Galante dont un junior, moi, nous n’avons atteint le record du bateau avec …quatre cents poissons en une marée, à quatre cannes avec six hameçons par ligne ! Ce jour-là nous ne montâmes même pas sur le podium, car un autre bateau à six cannes avait réussi à atteindre 1 200 maquereaux - record absolu de Saint-Val’ - quand d’autres affichaient 800, 600, 500 prises. A la maison, c’était maquereaux midi et soir pendant un certain temps ! Et pas que chez nous… Je n'en suis toutefois pas dégouté. J'ai en effet emporté beaucoup de boîtes de maquereaux marinés pour mon expédition. Malheureusement trop peu et je me rationne sévèrement car il ne m'en reste plus beaucoup à déguster lorsque je naviguerai en zone tropicale, où il fera bon les manger sur le pont à l'ombre de la grand-voile, dans une semaine à peine.

 

Je suis retourné à la pêche avec mon ami et quasiment grand frère, Patrick Declercq il y a bientôt deux ans, histoire de faire découvrir la pêche aux maquereaux à nos jumeaux Quentin et Malo. Du port de Dieppe, nous nous sommes rendus sur le lieu de pêche à vive allure. Nous nous sommes positionnés juste sur la faille où les poissons sont le plus nombreux grâce au sondeur du bord - ce qui n’existait pas lorsque j’étais gamin. Nous avons rapporté à quatre cannes un seau de maquereaux et de vives. Soit une vingtaine de poissons. Heureux d’une pêche honorable en pleine saison 2015.

 

Voilà ce que je veux tant éviter dans le Grand Sud, qu’en quarante ans la nature change autant, que des espèces de poissons disparaissent et probablement des oiseaux avec eux.

 

Car je n’évoque ici de mes souvenirs d'enfance à Saint-Valéry-en-Caux que morues et maquereaux. Je ne vous parle pas des roussettes et des vaches (grosses roussettes en patois cauchois), des has (squales ressemblant aux requins), des requins taupes, des bars, des lieus, des harengs, etc. Je ne vous parle pas non plus de mes pêches solitaires dans les rochers où je rapportais pour le dîner entre 300, 500 grammes, un kilo, ou plus lors des grandes marées, de gros bouquets roses péchés avec quatre ou cinq balances (ou lanais) ; ou des tourteaux que je dénichais à la main dans les trous sous la roche calcaire en m’allongeant dans le sable, le varech et les flaques d’eau …en me faisant disputer par Maman à mon retour étant donné l’état dans lequel je regagnais l'appartement familial sur le quai : trempé, sableux et vaseux. Mais tellement heureux de ma pêche délicieuse à déguster au repas suivant.

 

Je ne veux pas que toute cette vie, cette fantastique vie disparaisse du Grand Sud comme elle a disparu de Manche et d’ailleurs.

 

Je compte sur vous les Kids pour prendre conscience dès maintenant de cet immense risque. Ne laissez pas la vie s’enfuir, protégez votre avenir et celui de vos enfants. Faites qu’après tant de siècles de pillage de la Nature - depuis le XVe Siècle en fait, depuis la découverte des territoires éloignés - ce XXIe Siècle soit celui du respect de l’environnement, d’une renaissance de la Nature. L’Avenir est à vous, entre vos mains, faites en le meilleur usage qui soit : redonnez à la Nature ce que vos aînés, dont je fais partie, lui ont volé. Aimez-la, respectez-la. Et sauvegardez l’Océan !

 

Alors que je mets un point final à ce texte un pétrel évolue en longues courbes harmonieuses dans le sillage de Boogaloo. Je suis rassuré, mes amis ne nous ont pas encore quittés…

 

 

* J’écris cette newsletter le samedi. Elle est préparée dans la journée du dimanche, puis publiée sur le site de l’association (www.oceanoscientific.org) et transmise aux abonnés le lundi matin.

Malgré le froid ambiant au-dessous du 50e Sud, je n’ai jamais eu froid, grâce à un équipement vestimentaire adapté, mais surtout parce que j’ai correctement dosé mon alimentation avec un repas par jour constitué d’un sachet lyophilisé double portion, comme ici un hachis Parmentier dégusté assis sur la marche de descente, avec vue sur mer en regardant voler les albatros. Un luxe ! Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lundi  27 mars 2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #20

56°01' Sud - 62°46' Ouest

Je suis cap-hornier !

Hello Kids, lorsque vous lirez ces lignes* j’aurai tout juste entamé la longue remontée de l’Atlantique à destination de l’Équateur, du Détroit de Gibraltar, puis de Monaco que j’escompte atteindre vers le 10 mai. J’ai donc doublé le Cap Horn (Cabo de Hornos - Chili) ce dimanche 26 mars, à 16h18 TU (18h18 en France Métropolitaine), réalisant ainsi le rêve de mes quinze ans … 45 ans plus tard. Je suis donc cap-hornier ! Cette phase importante de mon expédition marque le 101e jour de navigation en solitaire, dont 57 dans le Grand Sud depuis le passage du Cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud). J'ai parcouru 15 110 milles nautiques (28 000 km) depuis mon départ de Cape Town le 26 janvier. Je vais donc avoir encore une grosse semaine dans les Quarantièmes pour terminer la collecte de données océanographiques, avec un cap au Nord-Est qui me fait progresser vers vous tout en allant chercher les brises favorables pour remonter l’Atlantique Sud rapidement. Ce Cap Horn est vraiment mythique. Je vous donne ici quelques clés pour mieux comprendre pourquoi cette minuscule île à l'extrémité de l’Amérique du Sud engendre de telles passions, de belles aventures, mais aussi bien des malheurs.

Au revoir le Pacifique, nous sommes en Atlantique. Nous avons eu des conditions exceptionnelles de beau temps pour doubler le Cap Horn ce dimanche 26 mars, en milieu de matinée en heure locale (16h18 TU). Le temps du retour à Monaco a sonné. Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Soyons respectueux de nos aînés qui ont ouvert les voies sur lesquelles nous accomplissons nos rêves et vivons nos passions. Rendons leur hommage avec respect pour leur incroyable volonté et par reconnaissance des souffrances qu'ils ont endurées pour réaliser leurs exploits.

 

Après le Portugais Fernand de Magellan en 1521 pour le compte du Royaume d’Espagne, c’est au tour du Britannique Francis Drake, pour celui du Roi d’Angleterre, de pousser plus avant l’exploration de la côte sud américaine. Le premier trouve le passage entre les îles et îlots de la Terre de Feu qui devient le Détroit de Magellan. Il relie ainsi l'Atlantique au plus grand océan de la planète Terre, qu’il baptise Pacifique. Le second continue encore plus au Sud et découvre qu’on peut contourner la Terre de Feu en pleine mer. Nous sommes en 1578, le Passage de Drake est ainsi identifié. C’est l’immense canal entre le continent américain et le continent antarctique. A cet endroit, le Courant Circumpolaire Antarctique qui porte vers l’Est est un flux de 135 millions de mètres cubes par seconde, soit environ 135 fois le flux combiné de toutes les rivières du Monde. D’où l’intérêt des scientifiques de l'étudier pour mieux appréhender les causes et les conséquences du changement climatique. D’où notre mission océanographique en cours avec l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo".

 

Le Horn est cette petite excroissance de terre isolée à l’extrême sud du continent américain. Cette île a été découverte au début du XVIIe Siècle, soit peu de temps après le passage de Francis Drake en ses parages.

 

A Amsterdam (Hollande), le riche commerçant Jacob Le Maire est las de subir le diktat de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales qui régit alors le commerce entre l'Asie et l’Europe via le Cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud) et l'escale de Cape Town qu'elle contrôle. Il décide de rechercher une autre voie et confie pour cela le rôle de commandant de son navire à deux mâts, le Eendracht, à son compatriote Willem Schouten. Ces Hollandais partent à l’aventure à l’opposé du Cap de Bonne-Espérance et découvrent dans le Passage de Drake le fameux petit îlot qu’ils baptisent Hoorn, du nom de la ville proche d’Amsterdam qui finance en partie leur expédition. Ainsi naît sur les cartes marines le Cap Horn au début de l’an 1615.

 

Mais cette voie pour aller de l’Europe vers les Indes est beaucoup plus périlleuse que celle qui contourne l’Afrique. En effet, passer de l’Atlantique Sud à l’Océan Indien s'accomplit avec de forts vents portants (ils poussent les voiliers), même s’il faut affronter de face le Courant des Aiguilles qui apporte les eaux chaudes de l’Indien vers l’Ouest. Alors que passer d’Atlantique en Pacifique au sud des Amériques oblige à naviguer face à des brises d’ouest soufflant fréquemment en tempête - avec des unités peu véloces pour remonter face au vent. Par cette voie hasardeuse les naufrages sont nombreux, les vaisseaux disparaissent souvent corps et biens. Les commerçants européens : Hollandais, Anglais, Espagnols, Portugais, pour les nations les plus conquérantes de l'époque, subissent de fortes pertes. Des armateurs se ruinent en faisant emprunter cette route à leurs équipages qui périssent avec leur navire.

 

Cependant, du début du XVIIIe Siècle jusqu’à la fin du XIXe, voire jusqu’au tout début des années 1900, il n’y pas d’autre chemin que celui qui double le Cap Horn pour les Américains de la côte Est (Boston, New York) désireux de rejoindre la côte Ouest (San Francisco), notamment pour tenter leur chance dans le cadre de la ruée vers l’or. Des gisements du précieux métal jaune ont en effet été découverts à l’Ouest du continent. Ils fertilisent toutes les imaginations et encouragent les excès les plus fous. Par conséquent, il faut bien doubler le Cap Horn "à l’envers", c’est-à-dire d’Est en Ouest, dans des conditions de mer et de vent souvent extrêmes, pour aller à San Francisco. Le Cap Horn est également le chemin pour aller d’Australie à la côte Est d’Amérique du Nord, mais dans ce cas, dans le "bon sens".

 

C’est alors l’épopée des clippers, ces immenses voiliers à quatre et cinq mâts, toujours plus longs, toujours plus gros, toujours plus voilés - on les surnomme les "cathédrales de voiles" - pour emporter toujours plus de marchandises achetées à vil prix et revendues très cher à l’arrivée. Il faut donc arriver au plus vite, avant les autres clippers, avant les autres marchands. Il faut prendre des risques. Parfois inconsidérés. Les naufrages sont fréquents et toujours plus meurtriers, évidemment. A terre, des familles américaines d'armateurs et de commerçants s'enrichissent en peu de temps au gré de la souffrance des équipages et démarrent la construction de Manhattan, le quartier maritime de la ville de New York.

 

Le chemin de fer ne relie pas encore les deux côtes américaines. Il ne sera véritablement opérationnel qu’en 1869 avec la pose du Golden Spike (le clou d'or), qui symbolise l'achèvement de la première ligne ferroviaire transcontinentale. Auparavant, le trajet en diligence est hautement périlleux du fait des tribus indiennes qui voient d’un mauvais œil l’homme blanc les chasser de leurs territoires ancestraux et font tout pour éviter aux convois de traverser leurs territoires. Quant aux brigands de grand chemin, il font la loi là où les indiens se sont déjà retirés ou ont été exterminés, dans des zones sans aucune loi ni shérif. Il faut aussi compter avec des conditions climatiques difficiles lorsqu’on tente l'expédition à cheval pour relier les deux côtes. La navigation à voile peut donc sembler moins risquée.

 

Quant au Canal de Panama qui coupe les Amériques en deux dans leur partie centrale, il n'est inauguré qu’en 1914. Dès lors, les bateaux à vapeur l’empruntent et délaissent enfin la terrible route du Horn. Néanmoins, durant la Seconde Guerre Mondiale, le Passage de Drake et le Cap Horn redeviennent une route maritime fréquentée, car aucun conflit ne se propageant aussi loin et aucune marine de guerre ne patrouillant dans cette zone maritime, cette voie est plus sûre qu’une navigation Asie - Europe via Panama et les mers sous emprise de la guerre.

 

Faire le tour du monde, doubler le Horn en équipage sur de grands voiliers est un exploit répété par les marins au commerce. Par des professionnels, donc. Or, c’est l’un d’eux, un Canadien naturalisé Américain dans le port de San Francisco, qui démontre que c’est également possible pour un homme seul sur un petit voilier. Joshua Slocum (1844 - 1909) se lance ainsi dans l’aventure à 51 ans, après plus de trente ans de carrière dans la marine de commerce, après avoir embarqué à l’âge de seize ans comme matelot, pour ensuite devenir un capitaine de bonne renommée. A bord de Spray, un voilier de seulement 11,20 mètres, Joshua Slocum est ainsi le premier homme à effectuer un tour du monde en solitaire, de 1895 à 1898. Il navigue d’Est en Ouest et ne franchit pas le Cap Horn, mais emprunte le Détroit de Magellan au sortir duquel il subit une terrible tempête qui faillit bien le perdre.

 

Le premier à avoir doublé le Cap Horn en solo, de surcroît "à l’envers", est le Norvégien Al Hansen sur un petit voilier dénommé Mary Jane, en 1934. Mais l'histoire ne retient pas son nom, car une fois en Pacifique, il fait naufrage et disparaît corps et biens.

 

L’Argentin Vito Dumas (1900 - 1965), désireux de faire le tour du monde en solitaire d’Ouest en Est, mais empêché de tourner autour de la Planète au niveau de l’Équateur car la Seconde Guerre Mondiale y rend toute navigation périlleuse, est le premier à boucler la boucle par les trois caps : Bonne-Espérance, Leeuwin (Australie) et Horn, en 1942-1943, de Buenos-Aires à Buenos-Aires (Argentine). Son voilier ne mesure que 9,55 mètres et il l’a baptisé LEGH II, LEGH signifiant : Lucha, Entereza, Grandeza, Hombría, soit : lutte, courage, grandeur, honnêteté. Vito Dumas, sportif accompli, est un fervent patriote et, par ce tour du monde à la voile en solitaire avec seulement quelques rares escales, il souhaite démonter au monde entier que les Argentins sont courageux et valeureux.

 

Côté Français, avant l’avènement des grandes courses autour du monde en solitaire et la double victoire de Philippe Jeantot dans les deux premiers BOC Challenge (avec escales) en 1982-1983 et 1986-1987 ; puis de Titouan Lamazou dans le premier Vendée Globe (sans escale) en 1989-1990 ; ainsi que la navigation exemplaire de Catherine Chabaud, première femme à réaliser un tour du Monde en course, en solitaire, sans escale (Vendée Globe 1996-1997) ; celui qui a le plus marqué les esprits - et surtout le mien ! - est sans conteste Bernard Moitessier (1925 - 1994).

 

En 1961, après avoir déjà pas mal bourlingué, dont de longues années au Vietnam, Bernard Moitessier fait construire Joshua, dénommé ainsi en hommage à Joshua Slocum. C'est un monocoque en acier de douze mètres de longueur de coque, spécialement conçu pour de longs périples océaniques. Sur Joshua, accompagné de son épouse Françoise, il réalise le trajet Polynésie - Espagne en 1965-1966. Ils établissent alors le record de plus longue distance parcourue par un voilier de plaisance sans escale : 14 216 milles nautiques, soit 26 000 kilomètres.

 

Cependant, la navigation la plus importante de Bernard Moitessier est celle de 1968-1969. Elle est rapportée dans son livre culte : "La longue route" (Editions Arthaud - 1971) : une fois et demi le tour du Monde sans escale par les trois caps, dont deux fois Bonne-Espérance et deux fois également Leeuwin. Ce livre référence, lu en 1972 lorsque j’avais quinze ans, m’a donné envie de faire à mon tour ce grand périple en solitaire autour du Globe, dont le passage du Horn est le sommet. J’y suis.

 

Doubler le Cap Horn étant une preuve de compétences maritimes, il était de tradition aux XVIIIe et XIXe Siècle que lorsqu’un marin devenait "cap-hornier" (ayant doublé le fameux cap) il arbore à son oreille gauche une boucle attestant de sa périlleuse navigation. Pourquoi à l’oreille gauche ? Simplement parce que la route "normale" allant de l’Ouest vers l’Est, comme celle que j’emprunte avec Boogaloo, on double ledit cap en le laissant à bâbord, à main gauche. Une autre tradition voulait aussi que les marins au long cours portent une boucle à l'oreille droite avec un signe distinctif pour que leur corps puisse être identifié par leurs proches en cas de naufrage. Ainsi, les recruteurs d’équipages, écumant tavernes et tripots à la recherche de matelots à enrôler, pouvaient identifier grâce à cette boucle à l'oreille gauche, qui était compétent pour figurer dans une liste d’équipage de qualité. Pour le marin cap-hornier, c’était une garantie d’embauche sur un bon navire avec un capitaine compétent et, probablement, l'assurance d'une bonne paye.

 

Récompense suprême pour ceux qui ont franchi les trois caps dans leur carrière de marin océanique : Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn, ils ont le droit de "pisser et de cracher au vent" (face au vent). C’est donc ce que je vais enfin pouvoir faire jusqu'à la fin de mes jours, fier de ma circumnavigation. Sauf les jours de trop grand vent, car alors la brise rabat l’urine sur les chaussures et les bas de pantalon. Comme quoi, même un marin expérimenté apte à affronter la tempête s’expose parfois à terre à des risques somme toute bénins…

 

 

* J’écris cette newsletter le samedi. Elle est préparée dans la journée du dimanche, puis publiée sur le site de l’association (www.oceanoscientific.org) et transmise aux abonnés le lundi matin.

Dans un bateau tout en carbone comme Boogaloo, la température intérieure est identique à la température de l’eau de mer, ou inférieure. A l’approche du Cap Horn, proche de la zone d’icebergs, la mer est d'une température de 8°. Il faut donc dormir tout habillé avec quatre couches de polaires, le bonnet et les gants Grand Froid …sans oublier de régler SamSam pour se réveiller dans deux heures au plus tard !

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lundi  20 mars 2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #19

47°77' Sud - 98°63' Ouest

Le Seigneur du Grand Sud

Hello Kids, lorsque vous lirez ces lignes* j’entamerai ce qui devrait être, sauf avarie, ma dernière semaine en Pacifique, car j’ai le Cap Horn (Chili) droit devant l’étrave. Si l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" continue sa route à vive allure comme en ce moment au gré de brises favorables, nous doublerons ce cap mythique le week-end prochain et basculerons en Atlantique Sud, pour revenir à Monaco. Ce passage du Cap Horn, par un peu plus de 56° de latitude Sud, sera un moment fort émotionnellement, car c’est une phase majeure de mon expédition. Même si je demeurerai encore une dizaine de jours dans les Quarantièmes et dans le Courant Circumpolaire Antarctique pour les besoins scientifiques de ma mission, j’aurai déjà un peu l’impression de quitter ce Grand Sud de tous les excès. Alors, il est temps que je tienne ma promesse et que je vous parle de l’albatros hurleur, le grand albatros, Diomedea exulans de son nom savant, le Seigneur du Grand Sud (1). Vous savez, notre ami Gros Pépère…

Qu’il est majestueux l’albatros hurleur ou grand albatros, Diomedea exulans de son nom scientifique ! C’est le plus grand oiseau du monde. On ne le rencontre que dans une bande géographique comprise entre environ 32°-35° Sud et 60° Sud. C’est le Seigneur du Courant Circumpolaire Antarctique.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Cet oiseau océanique, le plus grand de la planète Terre, a une envergure qui peut atteindre 3,50 mètres, voire un peu plus et son corps mesure entre 1,15 mètre et 1,35 mètre, pour un poids de 6 à 12 kilos. Avouez que Gros Pépère est une belle bête ! Capable toutefois de voler à 90 km/heure pendant plus de mille de kilomètres, porté par les fortes brises locales. La structure de ses ailes et sa musculation sophistiquée lui permettent de donner des formes variées à ses ailes pour les utiliser comme des ailes d’avion ou comme des voiles. Ainsi, il plane à l’infini sans jamais battre des ailes comme les oiseaux de nos jardins, ou les mouettes et goélands de nos côtes.

 

Mais qu’on ne s'y trompe pas, ce sont les avions et les voiliers qui descendent de l’albatros et non l’inverse. D’une part, ces oiseaux seraient apparus sur notre planète il y a environ trente millions d'années, suite à la découverte de fossiles en Ouzbékistan, Nouvelle-Zélande, Californie (Etats-Unis) et Mer du Nord (Belgique). D’autre part, le célèbre scientifique américain Manfred Curry (1899 - 1953) étudia longuement l’aile de l’albatros et le résultat de son travail, résumé dans son ouvrage référence "L'aérodynamique de la voile", n’est autre que l'avènement de la voile moderne. Enfin, ce concept ne cesse d’évoluer grâce à la voile de compétition, tout en retournant à ses origines. En effet, les voiliers les plus sophistiqués, ceux de l’America’s Cup, qui bénéficient des meilleurs ingénieurs en ce domaine et de budgets de recherche proches de ceux de la F1 automobile, ont abandonné depuis plusieurs années déjà les voiles traditionnelles imaginées par le Professeur Curry pour des ailes rigides. On revient aux fondamentaux, on revient à l’albatros.

 

Notre Seigneur des océans du Grand Sud ressemble en bien des points à l’Homme. Son cycle de vie, estimé couramment entre quarante et cinquante ans pourrait même être de 80 ans. Pas très éloigné de l’espérance de vie des humains dans beaucoup de pays du Monde à ce jour. Particulièrement fidèles, Monsieur et Madame Albatros se choisissent pour toute leur vie de futurs parents. On dit qu’ils sont "monogames". Mais gare à Monsieur ! S’il n’est pas arrivé assez tôt sur l’île déserte où ils vont se reproduire et donner naissance, puis élever durant neuf mois leur unique enfant (un œuf par grossesse / une grossesse tous les deux ans) ; s’il n’a pas eu le temps de préparer un nid douillet pour accueillir Madame dans des conditions décentes de confort, Madame cèdera sans tarder aux avances d’un autre mâle. Puis reviendra ensuite dans le nid conjugal. Bref, elle prendra un amant.

 

Les albatros nichent sur des îles inhabitées au sud des océans Atlantique, Indien - comme les îles françaises de Crozet et des Kerguelen auprès desquelles nous sommes passés (Kids Newsletter n°14) - et Pacifique. Mais ils ne passent guère plus de 5% de leur vie à terre. Le reste du temps, ils planent au large, c’est pourquoi on dit de ces oiseaux qu’ils sont pélagiques - qui vivent en haute mer.

 

La population mondiale des albatros hurleurs est d’environ 28 000 individus, soit potentiellement 8 500 couples nicheurs par an, selon l’estimation de l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature). Soit un maximum de 8 500 poussins, dont une grande partie ne survivra pas. Vingt pour cent de cette population, soit la plus grande partie, niche dans l'île britannique de Géorgie du Sud. Les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) : les archipels des Kerguelen et de Crozet, accueillent également un grand nombre de familles d'albatros hurleurs. Ces populations sont aujourd’hui en déclin, notamment celle des îles Crozet en raison de la grande concentration de palangriers-usines à ses abords, pour les raisons que j’évoque plus loin.

 

Comme j’ai eu l’occasion de vous le raconter (Kids Newsletter n°15), les parents albatros passent beaucoup de temps en vol pour apprendre à junior à bien utiliser ses grandes ailes et aussi pour lui apprendre à pêcher d’un habile coup de bec, afin d’arracher de leur élément les calmars qui évoluent en surface. J’en ai encore retrouvé un coincé sur le pont ce matin, déposé par les grosses vagues qui recouvraient Boogaloo toute la nuit de vendredi à samedi dans la forte dépression.

 

Pendant que l’œuf est dans le nid, Monsieur et Madame couvent à tour de rôle, par période d’environ quinze à vingt jours, durant 76 à 80 jours. Ensuite, il faut nourrir bébé. Là, tout se complique. Car à la différence de l’Homme qui fait un saut au supermarché et chez Picard, Maman et Papa albatros doivent aller chercher la nourriture en mer. Durant le premier mois de vie du poussin albatros, pendant qu’un parent surveille bébé, l’autre part à la pêche au calmar ou à la recherche de quelque charogne flottant à la surface de la mer pour ingurgiter le plus gros volume de nourriture possible. L'albatros se nourrit également des excréments des baleines. Le trajet quotidien pour faire les courses peut représenter jusqu’à 500 kilomètres. A son retour, l’albatros régurgite la nourriture partiellement digérée dans le bec de son petit affamé. Régurgiter, c’est se faire vomir. Beurk !

 

Considérant bébé comme capable de rester dans le nid sans faire de bêtise dès l’âge d’un mois (optimistes, les parents !), les époux albatros partent ensemble à la pêche pour satisfaire l’appétit grandissant de leur rejeton. Il ne commencera à se nourrir seul qu’après environ sept à huit mois de nid de château. L’abandon du juvénile encore si petit et sans défense aussi longtemps est probablement une des raisons qui explique la forte mortalité infantile des colonies d’albatros. En effet, selon les sites de nidification, 30 à 70% des jeunes meurent avant d’avoir atteint l’âge d’un an. Ce qui est très élevé, surtout pour des volatiles qui ne se reproduisent donc que tous les deux ans avec un  seul œuf à la fois. Cela explique aussi pourquoi cette espèce d’oiseau est menacée, car le nombre des décès peut rapidement contrebalancer celui des naissances.

 

Une fois que le jeune albatros a survécu à tous les risques de son jeune âge, il quitte le nid familial, accompagné de Papa et Maman. Son long apprentissage débute loin des côtes, car on estime à sept ans environ le temps que le juvénile passe en mer avant de revenir à terre. Ce n’est qu’à l’âge de 10-12 ans qu’il atteint sa maturité sexuelle, c’est-à-dire qu’il s’unit à son conjoint pour la vie et donne naissance à son premier petit dans la foulée.

 

Comme je l’ai déjà évoqué dans la Kids Newsletter n°13, le taux de mortalité le plus élevé des albatros est la conséquence de la pêche industrielle pratiquée par les palangriers. Ces bateaux-usines mettent à la mer des kilomètres de lignes composées de milliers d’hameçons. Sur chaque hameçon, l’appât est un morceau de calmar, plat préféré des albatros. Lorsque les lignes sont mises à l’eau, les albatros attaquent en piqué et tentent de gober l’appât avant qu’il ne file dans les profondeurs. Mais s’il réussit à attraper sa proie, l’albatros se fait accrocher par l’hameçon dans son gosier ou par le bec. Il est tiré vers le fond par la ligne et il meurt aussitôt, prisonnier de ce piège infernal.

 

La navigatrice et romancière Isabelle Autissier, qui connait très bien l'Océan Austral et le Grand Sud en général et qui occupe par ailleurs la fonction de Présidente de la Fondation WWF France, nous informe à ce sujet : "Les palangriers sont de plus en plus équipés de dispositifs très efficaces qui empêchent les oiseaux d‘être capturés. On estime être passé de plusieurs milliers d’oiseaux tués par an à moins de trente ! Toutefois, il faut le reconnaître, les navires pirates n’en sont évidemment pas équipés. Mais ils sont aussi de plus en plus traqués". Un navire palangrier-usine pirate comme celui à côté duquel je suis passé, non loin de Crozet d'ailleurs (Kids Newsletter n°13).

 

Je vais donc bientôt te quitter, Gros Pépère. Et toi aussi Coco, l’albatros à gros sourcils du logo OceanoScientific qui orne la grand-voile de Boogaloo. Cela aura été un immense plaisir de partager cette soixantaine de jours en votre compagnie. Je serai très triste le jour où tu disparaîtras à l’horizon, Gros Pépère, mais ne t’inquiète pas, tu me reverras ! Je reviendrai partager les dépressions du Grand Sud avec toi. Avant cela, profitons pleinement ensemble de ces prochains jours de descente vers le Horn…

 

 

* J’écris cette newsletter le samedi. Elle est préparée dans la journée du dimanche, puis publiée sur le site de l’association (www.oceanoscientific.org) et transmise aux abonnés le lundi matin.

 

 

(1) Cette Kids Newsletter n° 19 est rédigée grâce à une compilation de documents de différentes sources spécialisées, puis Loriane Mendez du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC - CNRS) a eu la gentillesse de relire ce texte avant diffusion pour éviter toute erreur, ce dont nous la remercions vivement. Nous nous sommes également documentés auprès des sites Internet "Pour la Science", "Terra Antartica", "Birds" et "Wikipédia", alimenté par de nombreux textes scientifiques de référence, ainsi que par l’ouvrage de Todds F.S. & Genevois F. : "Oiseaux & Mammifères antarctiques et des îles de l’Océan Austral" - Editions Kameleo / Paris - 2006

Gros Pépère est posé et regarde passer Boogaloo, comme une vache normande regarde passer les trains. C’est rare en voilier de réussir une telle photo, car les albatros se posent généralement loin des bateaux, car vulnérables dans cette position. Mais Gros Pépère est notre ami et il est plutôt curieux de nature…

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Sur ce portrait en gros plan d’un albatros hurleur, on se rend compte de la taille de son puissant bec. Il lui permet de gober les calmars qu’il pêche à la surface ou de déchiqueter les charognes qu’il trouve sur son chemin. Car on surnomme aussi le grand albatros le vautour des mers. Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lundi 13 mars 2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #18

41°47' Sud - 128°65' Ouest

Si près du spationaute Thomas Pesquet…

Hello Kids, j’ai déjà parcouru la moitié du Pacifique et je me trouve donc plus près du Cap Horn (Chili) que de la Tasmanie (Australie). C’est top ! Lorsque vous recevrez* cette newsletter, je naviguerai à bord de l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" à l’endroit le plus éloigné de toute terre. Je me préparerai aussi à affronter une grosse dépression. Ce lundi ou au plus tard demain mardi 14 mars, je serai donc au plus près de ce que les scientifiques dénomment le "Pôle d’inaccessibilité" à la position géographique : 48° 50 de latitude Sud et 123° 20 de longitude Ouest. Aussi étonnant que cela vous paraisse, l’homme qui sera alors le plus proche de moi sera le spationaute français Thomas Pesquet à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS - International Space Station). Il sera environ à un peu plus de 300 kilomètres. Seulement. Je vais donc vous expliquer pourquoi Thomas, ce Normand né à Rouen comme moi et de 21 ans mon cadet, sera mon plus proche voisin au milieu de nulle part…

Lorsque je manœuvre, le seul Français susceptible de me voir est Thomas Pesquet, par un hublot de la Station Spatiale Internationale. Il lui faudrait néanmoins de bonnes jumelles qui portent à plus de 300 km. Mais comparé aux autres hommes de la planète Terre, c’est bien lui mon plus proche voisin de désert océanique.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Ce n’est qu’il y a une grosse vingtaine d’années, en 1992 précisément, ce qui est récent à l’échelle de la Planète, que l’ingénieur croato-canadien Hrvoje Lukatel découvre ce Pôle d’Inaccessibilité. Pour cela, il n’a pas organisé une expédition périlleuse comme l'Américain Robert Edwin Peary pour découvrir le Pôle Nord géographique en 1909, ou comme le Norvégien Roald Amundsen pour découvrir le Pôle Sud géographique en 1911. Il n’a pas affrété non plus de lourds voiliers surchargés de vivres et d’armes, menés par des équipages de marins endurcis et téméraires à l’image de Christophe Colomb, Vasco de Gama et Fernand de Magellan, au nom du Roi d’Espagne ou du Portugal. Non. Après de longues études, il a utilisé un super ordinateur et un programme informatique géospatial pour jongler avec les algorithmes et découvrir le fameux pôle. Bref, il n’est même pas sorti de son bureau ! Ce qui n’enlève rien à l’exploit, car c’en est un.

 

Ce point virtuel sur la carte au milieu du désert océanique du Pacifique s’appelle aussi le "Point Nemo". Nemo signifie "personne" ou "nul" en latin. C’est évidemment une référence au Capitaine Nemo, le patron du sous-marin Nautilus de "Vingt mille lieues sous les mers" de Jules Verne. Ce point étrange est donc très exactement à 2 688 kilomètres (1 451 milles nautiques) de la première terre. Juste de la terre d'ailleurs, une flore et une faune, rien d’autre. Car il s’agit de la minuscule île inhabitée de Ducie dans l’archipel de Pitcairn, au nord du Pôle d’Inaccessibilité. En périphérie de l’espace de 22 000 kilomètres carrés qui encercle ce point géographique, il y a un autre îlot, au Nord-Est, celui de Moto Nui dans l’archipel de l’Ile de Pâques. Ou encore, au Sud, la terre Marie Byrd sur l’île Maher, en Antarctique.

 

Vous le remarquerez, je ne suis pas cerné par la foule. Heureusement, j’ai toujours à mes côtés Coco et Gros Pépère les albatros et, depuis peu, la Famille Pataplock, selon le patronyme que leur a donné ma fille Léa. Une volée de petits oiseaux blancs d’une taille inférieure à des hirondelles de mer de Manche, vives et virevoltantes en escadrille, qui m’accompagnent jour et nuit en un ballet pétillant. Sympas les Pataplock. En fait des puffins.

 

Chers Kids, si votre maître, votre maîtresse vous interroge au sujet du Point Nemo en vous demandant ce que vous retenez du court exposé qui précède, votre réflexion et un peu de bon sens vous engageront peut-être à répondre que ce site qui est le plus éloigné de toute présence humaine est probablement celui le moins pollué de la Planète. Logique en effet. Pas du tout ! Et pour cause. Considérant en effet qu’il n’y a aucune présence humaine au Pôle d’Inaccessibilité, bon nombre d’agences spatiales en ont fait le dépotoir géant de 3 500 mètres de profondeur des engins spatiaux en fin de vie. Ils sont donc programmés pour plonger à cet endroit du Pacifique, avec tous les métaux, carburants, batteries, matières et matériaux les plus polluants qui les constituent. Selon les médias, plus d’une centaine d’épaves spatiales seraient ainsi en train de polluer ces grands fonds marins qu’on imaginait sanctuarisés. Quelle déception de l’apprendre…

 

Ici, non loin du Point Nemo, les êtres humains les plus proches de moi sont donc les six équipiers de l’ISS, la Station Spatiale Internationale en orbite autour de la Terre. Ce laboratoire du futur passe en effet seize fois par 24h00 au-dessus de moi - et de vous - à une altitude d’environ 330 kilomètres là où je navigue en ce moment. Quasiment rien comparé aux 2 688 kilomètres de la distance qui me sépare de Pitcairn. D’ailleurs, je devrais pouvoir apercevoir de nuit cette tâche blanche, cette vie qui va à vive allure dans le ciel, lorsque la couverture nuageuse le permet, ce qui n’est pas fréquent. Mais j’observe en ces nuits de pleine lune.

 

Se déplaçant à une vitesse de 28 000 km/h, l’ISS est la plus grande structure jamais assemblée dans l’Espace. "La Station Spatiale Internationale est un formidable exemple de coopération qui réunit depuis 1998 (novembre 98 : mise en orbite du premier module de l’ISS) : l’Europe grâce à l’ESA (Agence Spatiale Européenne) et à quelques pays européens agissant à titre individuel comme l’Italie, mais aussi les États-Unis, le Japon, la Russie et le Canada, au sein de l’un des plus grands partenariats de l’histoire de la Science. Cet avant-poste humain en orbite autour de la Terre est un tremplin pour les futures missions d’exploration spatiale", écrit le Centre National d’Études Spatiales (CNES). On pense évidemment à l'exploration de Mars, la planète rouge. Il fallait en effet la coopération de seize pays pour concevoir, fabriquer et envoyer dans l’Espace puis assembler dans le ciel cet extraordinaire Lego dont le coût dépasserait 150 milliards de dollars à ce jour (1). Je vous l’accorde, c’est autre chose que la station Faucon Millénium Lego de mon fils Quentin.

 

A bord de l’ISS, il sont six à se relayer par groupe de trois tous les six mois, comme je l’apprends en lisant l’excellent article très documenté de Romain Clergeat dans Match (1), confortablement installé dans le siège de veille de la véranda de Boogaloo (Newsletter n° 17). Pas de doute, je suis probablement d’ailleurs le "Lecteur Nemo" de Match, celui le plus éloigné de tout kiosque à journaux de la planète presse...

 

Par un échange de mails, j'ai demandé à mes Pirates de bientôt dix ans: Quentin, Malo, Léa de me transmettre des informations au sujet de Thomas Pesquet et de sa mission, sachant que Mon Quotidien, auquel ils sont abonnés et qu'ils dévorent au retour de la classe en se chamaillant souvent à qui le lira le premier (de la première à la dernière ligne !) a traité ce sujet à maintes reprises et qu'ils ont lu ces articles avec grand intérêt. Ils m'ont notamment transmis ces citations du spationaute français qui les ont marqué : "L’apesanteur n’a pratiquement que des avantages, mais il y a quand même quelques inconvénients. On flotte dans le duvet et on ne peut pas enfoncer la tête dans les oreillers. Cela me manque, même si je dors très bien" et Malo de ne "pas trouver ça cool du tout !" "Parfois, pour bien travailler sur l’ISS, il faut se prendre pour Spiderman", explique l’homme dans les étoiles. (2)

 

Thomas Pesquet et moi partageons quelques points communs tout simples mais amusants. Tout d’abord, nous sommes nés à Rouen. Nous avons fêté nos anniversaires en expédition. Mes 60 ans le 7 janvier, ses 39 ans le 27 février. Nous avons quitté la Terre le même jour, le 17 novembre dernier. Toutefois, mon "pas de tir" du Yacht Club de Monaco était beaucoup plus prestigieux et sympathique que le sien à Baïkonour au Kazakhstan ! Et je préfère mon Boogaloo à son "taxi" Soyouz pour se rendre à l’ISS.

 

Nous nous sommes engagés l’un comme l’autre pour six mois d’expédition. J'ai en réalité quitté Caen - Ouistreham avec l’OceanoScientific Explorer fin octobre 2016 et j’atteindrai normalement Monaco début mai, soit six mois si on décompte les escales qui ont précédé le 17 novembre. Tous deux effectuons nos missions à but scientifique. Même si en ce domaine et en une majorité d’autres il n’y a rien de comparable entre Thomas Pesquet et moi, entre la Station Spatiale et l’OceanoScientific Explorer. Même équipé de l’OSC System ! Ce serait comparer le Barça à L’En Avant Pétaouchnok en football. On ne joue pas dans la même division. Si on prolonge la comparaison footballistique, Thomas Pesquet se rapproche plus de Messi, Neymar et Ronaldo réunis que de n’importe qui d’autre.

 

"Six mois à bord de l’ISS c’est trois cents expériences scientifiques qui trouvent des applications concrètes sur Terre, dans l’industrie ou la médecine. Et, au-delà, c’est une étape fondamentale de la conquête spatiale", explique Thomas Pesquet (1), par ailleurs commandant de bord Air France, ceinture noire de judo, alpiniste, parachutiste et joueur de saxophone qui parle six langues.

 

Autres points communs significatifs entre Thomas Pesquet en l’air et moi en mer, outre la volonté et le goût prononcé de l’effort, ce sont la passion qui nous anime et le plaisir d’évoluer au milieu de nulle part. C’est le fruit d’un énorme travail et d’une multitude de sacrifices au terme de sept ans d’efforts chacun.

 

Enfin, nous évoluons l'un comme l'autre dans un univers d'une fantastique richesse qui reste à explorer, à observer, pour mieux le connaître, mieux le comprendre, mais pas pour l'asservir. Rien que pour cette raison, nous méritons bien tous les deux de rejoindre l’équipage du Capitaine Nemo …si Jules Verne veut bien de nous. Et en avant le Nautilus !

 

 

* J’écris cette newsletter le samedi. Elle est préparée dans la journée du dimanche, puis publiée sur le site de l’association (www.oceanoscientific.org) et transmise aux abonnés le lundi matin.

 (1) in "Thomas Pesquet a besoin d’espace" - page 76 - Romain Clergeat - Match n° 3522 du 17 novembre 2016 - page 76.

 

(2) in "Thomas Pesquet raconte" - Mon Quotidien n° 6071 du 22 décembre 2016.

Thomas Pesquet en en apesanteur : "Il faut faire attention avec les objets : dès qu’on en lâche un …il part !", déclare-t-il (2). Photo ESA - NASA

Lundi 6 mars 2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #17

42°93' Sud - 161°75' Ouest

KN 17

Au temps du changement climatique

Hello Kids, lorsque je vous écris* ces lignes, je suis depuis plus de 48h00 dans ce que les marins appellent du "gros temps" : la brise est forte et la mer est creuse, avec des vagues déferlantes plus grosses que l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo". La vie à bord est compliquée dans ces conditions et je suis attentif, car je dois pouvoir me précipiter sur le pont si la situation l’exige. Je raconterai cela plus en détails dans la newsletter de vendredi matin prochain, à laquelle je vous invite à vous abonner en allant sur le site de l’association, c’est gratuit. En fin de semaine dernière j’ai franchi un cap théorique important dans ce tour du Monde. Je suis passé de l’Est de l’antiméridien à son Ouest. En heure locale, j’avais douze heures d’avance sur vous et je me suis retrouvé avec douze heures de retard. Mais à bord je vis en Temps Universel (TU), donc cela n’a rien changé à mes habitudes. Ce que je vous explique ici à ce sujet sera peut-être plus facilement compréhensible pour les Kids Normands que Monégasques. Ou pour le moins, ils se sentiront plus concernés. Explication.

Boogaloo surfe une déferlante alors qu’un rayon de soleil éclaire le sombre Pacifique, pas si pacifique que cela lorsque une brise de 35 à 45 nœuds souffle depuis des heures et des heures, générant de grosses vagues hautes comme une maison d’un à deux étages.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Jusqu’à la fin du XIXe Siècle chacun vit dans son pays au rythme du soleil. Ce qu’on appelle "vivre comme les poules". Se réveiller au chant du coq, au lever du jour et se coucher une fois la nuit venue, ou peu de temps après. Une des raisons en est qu'en ces temps-là l’électricité n’existe pas, ou pas partout. Bon nombre de tâches ne peuvent pas se faire à la chandelle, notamment à l’extérieur des habitations. Une fois le soleil couché, on arrête de travailler, tout simplement. On travaille donc plus au printemps et en été qu’à l’automne et en hiver.

 

Cette fin du XIXe Siècle est une époque charnière. Le développement de l’industrie est rapide. La généralisation de l’électricité allonge les journées et le temps de travail. L’usage du télégraphe puis du téléphone relie les individus d'une extrémité à l'autre de la Planète. Le développement des lignes de chemin de fer transnationales sur d’immenses territoires et l’augmentation rapide du nombre des lignes maritimes internationales réunit les populations. Mille autres conséquences du progrès qui s’emballe impactent les principaux grands pays dits "industrialisés" : Angleterre, France, Allemagne, Russie, États-Unis, Canada, Japon, etc., De cette manière les échanges commerciaux se développent et, surtout, se mondialisent. La notion de temps revêt une importance grandissante. Il est impératif qu'une "heure mondiale" soit établie.

 

Notons qu’il est considéré qu'à cette époque le changement climatique commence à ne plus être uniquement le fruit de l’évolution de la Nature, mais de façon croissante la conséquence du rôle de l’Homme (cause anthropique) et de la pollution grandissante, fruit de cette industrialisation galopante. C’est aussi le début du pillage des ressources naturelles de la Planète par l’Homme, notamment pour disposer des moyens énergétiques nécessaires à ce fantastique chambardement, à cette incroyable croissance en tous domaines. Il faut du charbon, du pétrole. Ce qu’on dénomme les "énergies fossiles". Et il en faut de plus en plus chaque jour.

 

En effet, ces besoins ne cessent d’augmenter au fur et à mesure que la population mondiale croît. Citons Gilles Boeuf le 19 décembre 2013 à ce sujet, à l'occasion de sa leçon inaugurale au Collège de France à la Chaire de Développement durable - Environnement, énergie et société : "Au moment des balbutiements de l'agriculture, il y a quelque 10 000 - 14 000 ans, la Terre comptait environ cinq millions d'êtres humains. En 1750, la population totale est estimée à moins de huit cent millions d'habitants, trois milliards en 1960, sept en 2012, neuf en 2040 : il est clair que l'évolution de la courbe de la population humaine pour les époques récentes est édifiante." (1)

 

Pour cette raison, notre pauvre planète pillée de toutes parts n’a plus les ressources suffisantes pour un si grand nombre de terriens. Ou probablement encore en Océan (70,8% de la Planète), dans les grands fonds marins, ainsi qu’en Arctique (Pôle Nord) et en Antarctique (Pôle Sud), qui sont, heureusement encore, des espaces où il est interdit de forer pour y puiser pétrole et gaz. Mais ce statu quo est menacé un peu plus chaque jour, surtout en Arctique et surtout côté américain, en Alaska notamment, du fait du nouveau Président des Etats-Unis, Donald Trump qui, à la différence de Barack Obama, n’accorde aucune importance au changement climatique, à ses causes et encore moins à ses conséquences et se contrefiche de la Nature et de l’Environnement. C’est un vrai problème ! Puisse-t-il évoluer positivement sur ce thème...

 

Dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, beaucoup de pays recherchent de nouvelles sources d’énergie. Soit parce que ne disposant pas ou peu d’énergies fossiles sur leur territoire, comme la France par exemple qui n’a ni pétrole, ni gaz et n’avait que peu de charbon. D’où le développement de nouvelles énergies : énergie atomique avec les centrales nucléaires il y a une cinquantaine d’années, surtout en France. Énergie hydrolienne avec des barrages sur les fleuves et rivières, ou comme le barrage de la Rance entre Saint-Malo et Dinard qui est une usine marémotrice, c’est-à-dire qui fonctionne au gré du fort courant de marée qui s’engouffre de la mer vers la terre pendant près de six heures (marée montante) et en repart six heures durant (marée descendante), à la manière du courant puissant d’un grand fleuve à l’image du Rhône de la Loire ou de la Seine. L’usine marémotrice de la Rance fut inaugurée par le Général de Gaulle en 1966. Avant que d’autres sites maritimes à fort potentiel énergétique du fait des violents courants de marée, comme le Raz Blanchard à la pointe Nord-Ouest du Cotentin par exemple ou le Raz de Sein à la pointe Finistère, ne soient exploités, nous assistons au développement rapide de l’énergie solaire (panneaux solaires) et de l’énergie éolienne, en référence à Éole le Dieu du vent dans la mythologie grecque. Celui qui m’expédie toutes ces rafales tempétueuses en Pacifique. Il est fort fâché Éole en ce moment !

 

Mais revenons à notre problème d’heure, différente d’un pays à l’autre. En fait, c’est à la fin du XIXe Siècle, en 1884 précisément, que le désir d’unifier et d’équilibrer le temps étant devenu impératif sur l’ensemble de la Planète, il est créé la notion de temps universel. En partant d’un problème pratique simple : comment unifier les horaires de train sur un territoire aussi vaste que celui d’Amérique du Nord (États-Unis - Canada). Car c’est Sandford Fleming, ingénieur écossais (1827 - 1915) des Chemins de fer canadiens, qui, n’en pouvant plus d’imprimer ses horaires de train avec cinq heures locales différentes, propose le 8 février 1879 de diviser le monde en fuseaux horaires et d’adopter une heure universelle reconnue par tous dans le monde entier. Comme toujours, d’un petit problème naît une grande innovation. Celle-ci est de taille.

 

C’est ainsi que se réunit la Conférence Internationale du Méridien à Washington (États-Unis) avec 25 pays représentés autour de la table, du 1er octobre au 1er novembre 1884. Un mois de travail pour uniformiser le partage du globe terrestre en 24 fuseaux horaires et pour choisir le site du méridien international de référence, ou méridien zéro. La France y est représentée par Jules Janssen, Directeur de l’Observatoire de Paris, qui compte bien faire adopter une heure universelle fondée sur l’heure française. Aux États-Unis, avec l’Angleterre, hyper puissante à cette époque-là, à la table des négociations, l’affaire n’est pas gagnée d’avance pour le "Frenchie".

 

Il y est donc décidé de partager le Globe en 24 parts de gâteau du Pôle Nord au Pôle Sud. Pour les 24h00 d’un jour. Chaque part du gâteau Monde est délimitée par les méridiens, avec quinze degrés de longitude entre chaque méridien. Cette tranche de Monde est dénommée : "fuseau horaire". Dans ce contexte, il est décidé le 22 octobre 1884 d’établir le point zéro - là où 0° de longitude Ouest se superpose au 0° de longitude Est - dans le petit village britannique de Greenwich. L’heure de référence devient donc l’heure GMT pour Greenwich Meridian Time, l’heure du Méridien de Greenwich. Jules Janssen rentre donc à Paris avec une heure universelle …anglaise !

 

Ce méridien zéro qui part du Pôle Nord, passe donc au cœur du village de Greenwich (Angleterre) pour aller jusqu’au Pôle Sud. A cette occasion, il coupe la France en deux parties à partir de Villers-sur-Mer, station balnéaire de la côte Normande, quasiment équidistante de Deauville, à l’Est et de Cabourg, à l’Ouest. Ainsi, à Deauville on est en longitude Est et à Cabourg en longitude Ouest. Mais à la même heure, car une convention définit une seule et unique heure pour toute la France métropolitaine.

 

Lorsque qu’on poursuit cette ligne de l’autre côté du globe terrestre, c’est-à-dire qu’arrivé au Pôle Sud on remonte vers le Pôle Nord sur le méridien juste à l’opposé du Méridien de Greenwich, comme si on coupait le monde en deux comme une orange, la ligne où se confond le méridien 180° Est et celui 180° Ouest se dénomme "l’antiméridien".

 

Cet antiméridien, je l’ai franchi jeudi dernier (le 2 mars) à 20h30 GMT - bien qu’on parle plutôt aujourd’hui d’heure TU pour Temps Universel - à 20h30 TU, soit à 21h30 heure française, car vous êtes actuellement en France en heure d’hiver avec un décalage d’une heure par rapport à l’heure TU. Et en heure d’été l’écart sera de deux heures. On dira alors qu’en France on est en heure TU+2.

 

Désormais, je suis donc en longitude Ouest, signifiée par le W de West - Ouest en anglais. A chaque mille nautique parcouru ma longitude décroît. J’étais par 180° W jeudi dernier et je vais vers 0° W, vers le méridien de Greenwich. Lequel Méridien de Greenwich je couperai à nouveau pour boucler mon tour du monde, car Monaco se trouve en longitude Est, soit à l’est du Méridien de Greenwich. Je couperai ce fameux méridien au niveau du Cabo de la Nao, le cap Sud-Est de l’Espagne, par conséquent en Méditerranée, juste avant d’arriver au niveau des Baléares. Ce sera au début du mois de mai. A l’heure où je vous écris, j’ai encore plus de 160° de longitude Ouest à parcourir avant d’atteindre le Méridien de Greenwich, en passant par le Cap Horn de surcroît. Il y a du boulot !

 

Si j’ai été assez clair dans mes explications et que vous avez tout compris, vous avez fait un premier pas pour devenir marin, car sur l’Océan on ne se repère qu’en fonction de la latitude (parallèles) et de la longitude (méridiens). Comme je vous l’ai déjà écrit, il n’y a ni autoroute, ni route, ni panneau de signalisation. L’Océan est un désert.

 

* J’écris cette newsletter le samedi. Elle est préparée dans la journée du dimanche, puis publiée sur le site de l’association (www.oceanoscientific.org) et transmise aux abonnés le lundi matin.

(1) in "La biodiversité de l'océan à la cité" - Gilles Boeuf - page 52 - Leçons inaugurales du Collège de France - Editions du Collège de France / Fayard.

 

Gilles Boeuf est un éminent biologiste, Professeur au Collège de France, ancien Président du Muséum d'histoire naturelle, Conseiller Scientifique auprès de Ségolène Royal, Ministre de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer. Il vient d'être nommé Président du Conseil Scientifique de l'Agence Française pour la Biodiversité. Orateur exceptionnel, Gilles Bœuf est un grand et sympathique défenseur de l'Océan.

En passant sur le plateau du Sud de la Nouvelle-Zélande, là où les fonds sont de 150 mètres et non de 3 000 mètres, nous avons croisé de loin un chalutier-usine en action de pêche. Grâce à son signal AIS (Kids Newsletter n° 2), nous savons que c’est le Mainstream, battant pavillon néo-zélandais, qu’il est long de 104,50 mètres et large de 16 mètres. Il a été construit en 1989 et sa vitesse maximum est de 12 nœuds.

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lundi 27 février 2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #16

49°22' Sud - 163°34' Est

On a croisé L’Astrolabe !

Kids Newsletter 16

Hello Kids, je vous écris du Pacifique, le plus grand océan du Monde : près de 170 millions de kilomètres carrés, soit environ un tiers de la planète Terre. Il a été découvert par Fernand de Magellan en 1520-21 (XVIe Siècle) qui l’a baptisé "Pacifique" car il n’y avait pas de vent ou si peu entre l'Amérique et l'Asie, qu'il reliait ainsi pour la première fois de l'histoire de la découverte du Monde. J’y navigue depuis vendredi 24 février et ce jusqu’à doubler le Cap Horn (Chili), par 56° Sud à la pointe de l’Amérique du Sud, à la fin du mois de mars. Lorsque vous lirez ces lignes, je serai en train de passer au sud de la Nouvelle-Zélande, soit aux antipodes de la France, c’est-à-dire juste à l’opposé sur le globe terrestre. Lorsqu’il fait jour chez vous, il fait nuit chez moi et inversement. Lorsqu’il est six heures du matin en France, il est déjà 18h00 en heure locale là où je navigue et la nuit est tombée. Bref, j’ai une journée (1/2 jour) d’avance sur vous. En entrant en Pacifique, figurez-vous que nous avons fait une étonnante rencontre. L’Astrolabe et l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" se sont croisés en Mer de Tasman. In-croy-able !

Avec Boogaloo, nous sommes passés moins de dix milles nautiques (15 km) devant l’étrave de L’Astrolabe, le navire ravitailleur de 65 mètres de la Base scientifique française Dumont d’Urville en Terre Adélie (Antarctique). Il effectuait le tout dernier aller-retour en Antarctique de sa carrière australe. Un croisement absolument incroyable sur l’immensité de l’Océan Pacifique ! Photo Bruno et Marie Cusa - IPEV

Tout commence vendredi matin 24 février un peu avant 5h00 TU (6h00 à Monaco et en Normandie) par un message d’alerte sur l’écran de l’ordinateur de navigation qui se trouve au centre du panneau des instruments de la table à cartes de Boogaloo : l’OSC-PC, l’ordinateur qui pilote l’OSC System, le matériel scientifique unique au monde qui nous permet de collecter automatiquement des données océanographiques toutes les six secondes et de les transmettre tout aussi automatiquement à terre par satellite toutes les heures avec notre position géographique (voir la cartographie), ne répond plus. Aussitôt j’en recherche la cause. Il s’agit simplement d’une fiche d’alimentation en énergie qui s’est débranchée toute seule au gré des sauts que fait Boogaloo dans les vagues à chaque surf. Et il y en a beaucoup. De vagues et de surfs ! Rien de grave. Avant de trouver la cause réelle du problème, je fais quelques manipulations sur l’ordinateur de bord. Et des bêtises : je plante l’ordinateur de navigation. Zut !

 

Je relance le PC de Boogaloo, j’ouvre le logiciel Adrena de navigation, je recharge les fichiers météo, puis je zoome sur la zone où Boogaloo se trouve, à l’entrée du Pacifique. Oh stupeur, il y a un petit bateau vert affiché par le système AIS (Kids Newsletter n° 2). Évidemment, ma première réaction est de croire à une nouvelle mauvaise manipulation de l’ordinateur. Qu’ai je donc encore bricolé à l’envers ? Que vient faire un signal AIS où je me trouve, si loin sous la Tasmanie ? Je zoome, je dézoome. Le petit bateau vert est toujours à l’écran, avec son sillage qui m’indique qu’il arrive du Nord-Est et va au Sud-Ouest. Soit de Tasmanie, la grande île au Sud-Est de l’Australie sous Sydney et Melbourne, vers l’Antarctique. Je clique sur le navire pour lire sa fiche signalétique. Il s’agit de L’Astrolabe. In-cro-yable ! Deux navires français qui se croisent quasiment aux antipodes de la France, là où il n’y a personne. Je suis en train de passer environ neuf milles nautiques devant son étrave, soit une quinzaine de kilomètres. Rien à l’échelle de l’immensité de la zone maritime où nous évoluons ensemble par le plus grand des hasards.

 

Aussitôt, je prends la VHF, la radio qui permet d’échanger entre navires lorsque nous sommes à moins de 20-25 milles nautiques (environ 40 km) les uns des autres. Cette radio a de multiples canaux, dont le Canal 16 qui est la fréquence d'urgence et de sécurité sur laquelle tous les navires en mer sont à l’écoute en permanence. Respectant la procédure, mais parlant en français alors que je devrais le faire en anglais, la langue internationale officielle en matière de communication entre navires : "L’Astrolabe, L’Astrolabe de Boogaloo, me recevez-vous ? A vous…" Aussitôt j’ai une réponse "fort et clair", pour reprendre la terminologie qui qualifie la réception d'une communication inter-bateaux : "Qui appelle L’Astrolabe ?....". Dire que la voix de l’officier de quart illustre la panique serait exagéré. Mais il n’en demeure pas moins que sa surprise est totale. Une voix à cet endroit et française de surcroît, quelle surprise !

 

En solitaire absolu, je ne parle qu’à Boogaloo, aux albatros (Gros Pépère et Coco) et autres pétrels …et à moi-même depuis tant de jours. Quel plaisir d’échanger quelques phrases dans sa langue maternelle avec quelqu’un qui vous répond. Car, vous l’avez compris, mes échanges avec les oiseaux du grand large ou avec mon voilier chéri se limitent à des monologues.

 

J’apprends ainsi que L’Astrolabe a quitté Hobart la veille au soir (jeudi 23 février) et qu’il se dirige vers la base scientifique française Dumont d’Urville, située sur l'île des Pétrels en Terre Adélie (Antarctique). La Terre Adélie - on dit que c'est un "district" de l'Antarctique - est comme une "part de gâteau" de la calotte glaciaire. En partant de la côte, ce triangle commence à l'Ouest au niveau du 136e méridien (Longitude 136 Est), pointe jusqu'au Pôle Sud, quasiment au milieu de l'Antarctique, puis revient au 142e méridien (Longitude 142 Est). Le tracé de sa côte, baignée par la mer Dumont d’Urville, tangente le cercle polaire sur environ 350 kilomètres. La distance entre Hobart en Australie et la Terre Adélie est d'environ  1 500 milles nautiques, soit 2 700 km. C'est loin !

 

Lorsque je converse avec l'officier de quart, L'Astrolabe emmène une demi-douzaine de scientifiques australiens à la Base Dumont d'Urville. Il ramènera ensuite une cinquantaine de chercheurs et techniciens qui y ont passé l’été austral - soit au maximum de sa capacité en transport de passagers : 13 cabines - 49 passagers. Le 15 février dernier, lors de sa précédente rotation, L'Astrolabe a ainsi embarqué Mike Horn au terme de sa fantastique traversée de l'Antarctique : 5 100 kilomètres à pied en solitaire (Kids Newsletter n° 14).

 

L’Astrolabe, répète généralement cinq fois l'aller-retour Hobart - Terre Adélie dans la saison entre novembre et mars. Cela représente une petite semaine de navigation à l'aller et la même chose au retour. Ce périple est souvent effectué dans des conditions tempétueuses au gré des violentes dépressions qui courent entre le cinquantième et le soixantième parallèle Sud, dans les fameux Cinquantièmes Hurlants. Chaque trajet est donc une aventure en soi. Ce n’est pas comme aller de Nice à Bastia ou de Caen-Ouistreham à Portsmouth en ferry, ni même du Havre à New York en paquebot !

 

A chaque rotation, L’Astrolabe peut acheminer plusieurs centaines de tonnes de matériels et de vivres, qu’il débarque grâce à sa grue et à son hélicoptère. L’hélicoptère lui sert également de vigie pour aller repérer la glace où il s’aventure, afin de trouver le chemin le moins encombré, le moins périlleux, pour arriver à destination sur le rivage antarctique de Terre Adélie. Ou pour en repartir vers l’Australie.

 

Croiser L’Astrolabe est incroyable dans ce contexte et à la fois historique en février 2017, car c’est le tout dernier service régulier entre Hobart et la Terre Adélie de sa carrière australe, entamée en octobre 1988, lorsqu'il quitta Le Havre où il fut construit en 1985. Soit une trentaine d'années d'activité majoritairement au service de la recherche scientifique française, qui opère sur le continent antarctique depuis 1837, à l’époque où l’enjeu était de déterminer avec précision la position du Pôle Sud magnétique.

 

Rappelons à ce sujet que le navigateur français Jules Dumont d’Urville (1790 - 1842) explora l’Antarctique de 1837 à 1840 justement à bord de L’Astrolabe, qui était à l'origine une corvette (voilier). Il découvrit ainsi le site de l'île des Pétrels en Terre Adélie où fut créée la base scientifique française à laquelle il donna son patronyme. Le nom de son véloce trois-mâts a donc été repris logiquement pour baptiser ce navire polaire ravitailleur de 65 mètres de long et 12,80 de large, avec un tirant d’eau de 4,80 mètres (seulement cinquante centimètres de plus que Boogaloo), pour un déplacement de 1 700 tonneaux. Un navire polaire dit : "à capacité glace", c’est-à-dire capable de briser la glace d’une épaisseur d’un mètre grâce à sa coque en acier hyper renforcée.

 

L’Astrolabe, propriété de l'australien P&O Maritime Services est co-affrété quatre mois par an (c’est à dire utilisé conjointement à tour de rôle) par les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) et par L’Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV) et va donc désormais rester en Australie pour y terminer sa carrière.

 

L'Astrolabe sera remplacé par un nouveau L'Astrolabe. C'est un Polar Logistic Vessel (PLV) de 72 mètres de long et 16 de large. Coque, structures et pont sont construits en Pologne. Puis il est terminé à Concarneau par les Chantiers Piriou. C'est en effet le célèbre constructeur breton dirigé par Pascal Piriou qui est en charge de la réalisation de cette unité de prestige. Un investissement national d’environ cinquante millions d’euros sur décision de trois ministères : Outre-Mer, Défense et Recherche. Ce navire innovant sera capable d’embarquer 60 passagers et 1 200 tonnes de matériels et vivres, ainsi qu’un hélicoptère, indispensable pour ses missions de toutes natures. Il doit être livré cet été à la Marine Nationale, aux TAAF et à l’IPEV, afin d’entamer une première campagne australe dès l’automne prochain.

 

L'Astrolabe qui remplacera L’Astrolabe est né dans la lignée du Yersin. Construit lui aussi par les Chantiers Piriou, le Yersin est un superbe navire de voyage de 77 mètres armé par François et Geneviève Fiat sous les couleurs du Yacht Club de Monaco. Il y a été béni par Monseigneur Barsi et baptisé au champagne par leur fille Fanny, samedi 20 juin 2015 à l'occasion d'une bien belle cérémonie orchestrée harmonieusement sous un grand soleil monégasque par Eric et Antoine Althaus (Althaus Luxury Yachting), en présence et sous l’autorité de S.A.S. Le Prince Souverain Albert II de Monaco.

 

Le Yersin ira lui aussi en Antarctique grâce à la qualité de sa construction "à capacité glace". Et en bien d’autres endroits encore, surtout dans des zones maritimes sensibles où le changement climatique fait des ravages, notamment dans le cadre du partenariat mis en place sur ce thème avec l’Institut Océanographique de Monaco - Fondation Albert 1er, Prince de Monaco. Or, comme l'association philanthropique OceanoScientific - qui est domiciliée en "territoire monégasque" à la Maison des Océans à Paris - et ses expéditions d'exploration océanographique sont également en partenariat avec cette grande institution sur des sujets similaires, osons le raccourci : Boogaloo est quasiment le "petit cousin" du superbe Yersin …et très fier de l’être !

Long de 77 mètres, le Yersin, réalisé en 2012-2015 par les Chantiers Piriou à Concarneau, est armé par François et Geneviève Fiat pour réaliser de grandes expéditions sur toutes les mers du Globe et notamment des missions à vocation scientifique en Antarctique. Il navigue sous pavillon du Yacht Club de Monaco, en partenariat avec l’Institut Océanographique - Fondation Albert 1er, Prince de Monaco.

Photo Ameller

Lundi 20 février 2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #15

41°92' Sud - 124°18' Est

KN 15

Réponses à vos questions

Hello Kids, j’ai désormais le Cap Leeuwin, situé à la pointe Sud-Ouest de l’Australie, dans le sillage. J’ai mis deux jours de plus à atteindre sa longitude que ce que nous avions prévu, car au lieu de continuer ma route Est - Sud-Est, je suis remonté dans le Nord en prévision d’une situation dépressionnaire très étendue aux puissantes brises qui vont complètement démonter la mer. Trois dépressions enchevêtrées m’accueillent en effet en Mer de Tasmanie où l’OceanoScientific Explorer "Boogaloo" navigue désormais sous l’Australie, avant d’atteindre la longitude de la Nouvelle-Zélande, aux antipodes de la France. Avant que ne débutent les vacances de février, Madame Jessica Corso (CM2C) et Monsieur Aurélien Ranaldi (CE2M) de l’École Primaire de La Condamine (Monaco), ainsi que Madame Murielle Roleau, Directrice de l’École Primaire Saint-Louis de Cabourg et maîtresse d’une classe de CM2, m’ont transmis pas moins de  58 questions. J’ai tenté de les regrouper par thèmes pour y répondre de manière concise et agréable à lire pour tous. Je vous invite aussi à consulter la cartographie de notre site Internet pour voir exactement où je me trouve et dans quelles conditions de vent, de température et de vitesse.

Lorsque le vent est modéré et la mer peu agitée, je me lance dans la confection d’un plat de pâtes. Et je mange, assis au poste de veille, à même la casserole, car de toute façon je n’ai pas d’assiette. Cela fait ça de moins en vaisselle à nettoyer à l’eau de mer. Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Tout d’abord, je vous rassure, je n’ai percuté aucun iceberg jusqu’à ce jour - je n’en ai d’ailleurs pas vu et je ne m’en plains pas. Je n’ai pas d’avarie à déplorer, le mât tient debout, le reste également et le fond du bateau est sec. Donc pas d’accident, pas de collision avec un cargo - il n’y en a pas là où je navigue et je ne m’en plains pas non plus. Tout comme je ne rencontre pas de voilier. Aucun incident notoire donc : la longue et minutieuse préparation de ma monture porte ses fruits et l’usure du matériel n’est pas trop menaçante. Elle le deviendra sûrement dans la toute dernière partie de l’expédition, lorsque j’aurai à affronter les dépressions printanières de l’Atlantique Nord, puis de Méditerranée, dans deux mois. J’en suis loin et je n’y pense guère.

 

Depuis mon entrée dans les Quarantièmes Rugissants après avoir quitté Cape Town (Afrique du Sud), un rythme de navigation s’est instauré. Lorsque je navigue dans un anticyclone, j’ai du vent modéré, souvent un grand soleil et l’air n’est pas trop vif. Ce sont des hautes pressions atmosphériques. Puis arrive une dépression. Ce sont des basses pressions atmosphériques, avec du vent fort et encore du soleil au début. Les conditions se détériorent progressivement, le ciel devient gris clair, gris foncé, la mer noire et la température chute brutalement. Il fait vraiment froid. Je suis alors rattrapé par le phénomène météo qu’on appelle le "front froid", qui marque à la fois le moment où la température est la plus basse, mais également le moment ou une saute de vent me fait généralement changer de route.

 

Au passage du front froid, le vent augmente encore, il devient irrégulier et, plus ennuyeux, il souffle en rafales, parfois très violentes. Mais heureusement passagères. Néanmoins, cela occasionne des manœuvres fatigantes dans un environnement hostile : Boogaloo qui saute dans tous les sens, déferlantes qui recouvrent le pont, brutales accélérations qui nécessitent de bien s’accrocher pour ne pas chuter : dans le cockpit (sur le pont en arrière de la cabine), comme dans la cellule de vie à l’intérieur. Le vent faiblit et j’ai de fortes chances de retrouver derrière une situation anticyclonique, à moins qu’une autre dépression ne me cueille à nouveau. J’effectue de grand zigzags sur la mer, guidé en cela par Christian Dumard, notre routeur, qui veille à nous éviter des conditions tempétueuses, sans pour autant nous envoyer dans le cœur des anticyclones, là où il n’y a pas de vent. Christian me recommande des points de passage (way points / WP) éloignés les uns des autres et je choisis ma route entre ces repères approximatifs pour exploiter au mieux les qualités de Boogaloo en toute sécurité.

 

Pour répondre en aparté à Eline de Cabourg, j’ai appelé notre OceanoScientific Explorer "Boogaloo" en référence à un style de musique que j’apprécie énormément, né dans les années 30-40 aux Etats-Unis, dont Ray Charles est l’ambassadeur le plus connu au gré des premiers succès de son répertoire. C’est une évolution du blues et du jazz, c’est très rythmé, particulièrement entraînant et on peut considérer que c’est une tendance musicale qui va conduire au rock’n roll. Et Boogaloo est particulièrement boogaloo !

 

Par rapport à la navigation en Atlantique, surtout avec l’objectif de faire escale à Cape Town, donc de pouvoir éventuellement réparer des avaries - que nous n’avons pas eues, j’en suis fier - je mène actuellement Boogaloo bien en-deçà de ses capacités. Je ménage ma monture, ce que j’appelle mon "train de sénateur du Grand Sud", car je suis dans une zone maritime où je ne peux compter sur aucune assistance de quelque nature que ce soit, car trop éloigné de la terre et des secours. Alors pas question de faire le malin. Cependant, si les conditions le permettent : vent fort mais régulier et longue houle sans vagues traversières qui rendent la navigation hasardeuse, je lâcherais la bride à Boogaloo. Il pourra galoper et, probablement, faire tomber son record de vitesse qui est de 26,4 nœuds. Mais ce n’est pas une priorité. Je navigue pour collecter des données scientifiques, par pour établir des records ni réaliser quelque performance sportive que ce soit. Je souhaite atteindre Monaco - probablement vers le 10 mai - sans être contraint à faire une ou plusieurs escales techniques ; arriver à bon port avec un Boogaloo en grande forme.

 

La terre ne me manque pas, je suis heureux en mer et je ne m’y sens ni perdu, ni fatigué, ni lassé. Par contre, mes trois Pirates et leur Maman me manquent. Mais comme Cécile, mon épouse, gère les relations entre le bateau et nos partenaires, qu’elle recueille mes textes et photos, anime le site Internet de l’association et fait mille autres choses relatives à notre expédition, nous échangeons de multiples mails chaque jour et j’ai ainsi des nouvelles permanentes de la maison. Ça c’est sympa !

 

Dans le Grand Sud où je progresse, je suis en permanence entouré d’oiseaux. Mais je n’y vois aucun cétacé. En dehors du cachalot déjà évoqué. L’albatros demeure mon oiseau préféré pour de multiples raisons. La première étant que c’est l’oiseau emblématique de ces contrées sauvages et à ce titre il est l’ambassadeur d’un immense espace de notre planète qui est vierge de toute présence humaine. Une autre raison est que son mode de vie est proche du nôtre. Papa, Maman et leur enfant. Il y a quelques jours, j’ai assisté à l’apprentissage d’un juvénile (ainsi nomme-t-on un jeune oiseau) par ses deux parents albatros qui se relayaient pour lui apprendre à planer entre les vagues dans le train de houle. Avec la patience de parents aimants, comme les vôtres vous ont appris à marcher ou à faire du vélo. Je vous promets, avant de quitter le Grand Sud, je vous raconterai les albatros, mais j’attends toujours pour cela de réussir à photographier un albatros hurleur, le grand albatros.

 

Imaginez : vous rentrez de l’école, vous faites vos devoirs après avoir gouté, puis votre mère ou votre père vous enjoint d’aller prendre votre bain ou une douche et vous répondez : "Non, pas avant deux mois et demi. Ou peut-être un peu plus…". C’est ce qui m’arrive. Je suis parti de Cape Town le 26 janvier et j’imagine ma première douche vers le 15 avril, lorsque je serai en zone tropicale, là où il fait chaud avec de l’eau à 25°. Pas terrible, n’est-ce pas ? Je vous le confirme ! Je me lave par petits bouts, avec des lingettes pour bébé. Je change de sous-vêtements tous les dix jours environ. C’est évident, lorsque j’arriverai à Monaco, je vous recommande expressément de ne pas entrer dans la cabine de Boogaloo avant que nous n’ayons longuement aéré après avoir évacué le linge sale en se bouchant le nez…

 

Sommeil, alimentation, tout va bien. J’ai embarqué de beaux pamplemousses roses et de petites pommes fermes à Cape Town - cette grande ville que j’ai beaucoup appréciée et j’espère emmener ma petite famille en vacances en Afrique du Sud en juillet prochain, voir les phoques/otaries dans le port et les lions dans la savane. Je m’en délecte avec parcimonie pour que ces fruits frais m’accompagnent le plus longtemps possible. J’ai assez de variétés de plats lyophilisés et de plats préparés pour ne pas en être lassé. Mais je ne comprends pas pourquoi les fabricants anglais de plats lyophilisés mettent des petits pois dans le couscous et du maïs dans la morue à la purée. Un vrai mystère. Et je n’aime pas ! Je "cuisine" des spaghettis ou des nouilles, nature ou avec du thon et de la sauce tomate, lorsque les conditions de mer et de vent le permettent. Je lis, je n’écoute pas du tout de musique alors que j’aime cela, car je suis en permanence à l’écoute de Boogaloo. C’est important. Bref, tout-va-bien. Je suis heureux en mer, en sécurité à bord de mon super voilier !

 

Enfin, même si je vous ai raconté qu’aller à l’école ne fut pas l’occupation préférée de ma jeunesse, bien que j’ai rencontré beaucoup de maîtresses, maitres et professeurs de grande qualité qui m’ont fait aimer les matières qu’ils enseignaient, je viendrai vous rendre visite dans la vôtre à mon retour à Monaco puis à Cabourg, avec grand plaisir. Vous pouvez compter sur moi, je vous l’ai promis.

LA recette à bord de Boogaloo, car il n’y en a quasiment qu’une possible : des pâtes cuites avec deux tiers d’eau de mer et un tiers d’eau dessalinisée, un bloc de thon au naturel et de la sauce tomate. Avec de l’huile d’olive en essayant que ça ne colle pas trop au fond, ce qui n’est pas gagné…

Photo Yvan Griboval - OceanoScientific

Lundi 13 février 2017

Expédition 2016-2017

Kids Newsletter #14

47°48' Sud - 94°30' Est

KN 14

Des Kerguelen au Cap Leeuwin